Le 27 décembre 1974, à 6h17 du matin, une explosion retentit dans la cité minière de Saint-Amé à Liévin, dans le Pas-de-Calais. C’est un coup de grisou dans la fosse n°3-3 bis qui, au lendemain de Noël, faucha la vie de 42 mineurs, de 42 travailleurs qui venaient de reprendre leur poste. L’émotion fût vive et le scandale, national. Jacques Chirac, alors premier ministre, fût envoyé illico presto sur place. Toute la ville s’est rassemblée devant la fosse, géant charnier à ciel ouvert. Seules cinq personnes ont pu être sauvées. C’est la plus grande catastrophe minière en France depuis celle de Courrières en 1906, également dans le Pas-de-Calais, qui fit 1099 morts.
50 ans plus tard, l’émotion est toujours aussi forte et la ville entière s’est rassemblée ce vendredi pour commémorer ce triste anniversaire. Plusieurs familles de mineurs morts ce jour-là étaient présentes, ainsi que de nombreux enfants, chargés de préserver ce temps tragique d’une mémoire ouvrière qui en vient à se faire oublier. La députée du Pas-de-Calais et actuelle ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher était présente ce matin au côté du premier ministre François Bayrou, au milieu d’un parterre d’élus locaux, de familles, et de liévinois·es venues se rassembler sur le parvis de l’église Saint-Amé où avait lieu quelques heures auparavant une cérémonie religieuse en mémoire de ces ouvriers morts au « champ d’honneur du travail« , selon les mots de François Mitterand que le premier ministre a employé ce matin.
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Face à l’église, on inaugurait une fresque réalisée par l’artiste Rouge Hartley sur un immeuble de la rue Louis Dacquin, au côté d’enfants de l’école Léo Lagrange. « Lorsque monsieur le maire de Liévin m’a transmis les termes de la commande artistique, il a su me donner pour mission de perpétuer une mémoire publique du passé tout en engageant un regard sur l’avenir, défend-t-elle. Je me souviens très bien de ce qu’il m’a dit : ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’il y a là 42 gars qui auraient surtout voulu ne pas mourir. »
Puis, un par un, les portraits des 42 morts ont circulé sur le parvis, portés chacun par un membre de leur famille. Les noms, les visages de ceux qui ne sont pas oubliés. Un grand moment solennel qui sera suivi par un long dépôt de gerbes devant les plaques en mémoire des victimes de la catastrophe. Xavier Bertrand, président de région, était au côté des membres du gouvernement présent ce jour, mais également des maires de l’agglomération, représentants syndicaux…
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« Ces mineurs, avec ardeur, ont toujours tout donné sans compter, sans jamais fléchir, dont la vie était rythmée par le son du marteau-piqueur, par la chaleur étouffante des galeries souterraines, par la poussière du charbon, avance avec un certain lyrisme le maire socialiste de Liévin Laurent Duporge. A chaque descente, ils étaient exposés aux ténèbres et à la mort, chaque descente était un acte de bravoure. »
Un « acte de bravoure« . C’est ce que le discours majoritaire a retenu du destin tragique des mineurs. D’abord un discours patronal et étatique, porté notamment à la suite de la catastrophe de Courrières, il sera relayé par le PCF et la CGT après la nationalisation des mines en 1945. Une histoire faite d’hommes martyrs, au courage sacrificiel, dont la sueur et les larmes ont fait l’honneur de la France.
Et le maire de reprendre : « Les mineurs étaient aussi livrés à une autre agonie, plus lente, plus insidieuse, plus redoutable encore : celle de la silicose, qui les emportait dans une mort atroce, celle du dernier souffle, qui ne voulait pas arriver aux poumons. Quel destin funeste pour ces hommes, ces héros ! Et ce destin frappa une nouvelle fois le peuple de la mine ce 27 décembre 1974. Un demi-siècle s’est écoulé depuis cette catastrophe mais pour nous, c’était hier. Même après tant d’années, la douleur des familles, la douleur de Liévin, est toujours aussi vive. La République n’oublie jamais ses enfants martyrs. ».
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Et alors, comme dans tant d’événements, c’est à qui s’arrogera la légitimité de l’histoire. C’est une certaine vision de ce bassin minier, ancienne terre rouge aujourd’hui abandonnée à l’extrême-droite, ancien vivier de luttes et de grèves, que l’on fait revivre par moments consacrés et qu’on laisse ensuite à qui voudra bien s’en saisir. Il y a, du reste, tout ce qui vit encore. Et cette mémoire transmise par ceux qui sont encore vivants pour la raconter, et celles qui n’ont eu que leurs parents pour témoignage. Les associations, les collectifs, les syndicats, des paroles profondes qui s’entrecroisent et parfois, se contredisent.
Mais au-delà, c’est la colère qui domine, face à ce drame qui aura, cependant, poussé à des avancées sociales, que le maire a pu féliciter dans sa prise de parole sur le parvis de l’église. De son côté, François Bayrou a invoqué la mémoire de son père, agriculteur, mort dans un accident du travail « quelques jours » avant la catastrophe, et a affirmé « savoir ce que c’est que les visages que l’on aperçoit plus, le couvert que l’on ne met plus à table, ce qu’est l’absence des bras solides dans lesquels se réfugiaient les enfants. » « C’est pourquoi je veux apporter un salut particulièrement affectueux aux épouses, et aux orphelins qui sont nombreux ici », lança-t-il sous les cris cinglants des cloches de l’église. « Les âmes de ces 42 hommes sont en nous, nous sommes ici pas seulement pour honorer leur mémoire mais aussi l’esprit qui les animait. L’esprit de travail, de ténacité, et leur volonté de faire vivre la mine et leur famille. Honorer le travail dont ils vivaient, et apporter la reconnaissance de la nation et de l’État au bassin minier. »
En mémoire de ceux-là victimes d’une inattention collective et de conditions de travail déplorables ou, selon les points de vues, victimes de l’exploitation capitaliste. Car, si l’enquête judiciaire n’a jamais clairement pu établir les causes réelles de l’incident, chacun y va de sa petite idée. La mémoire de l’événement donne donc lieu à de sérieux conflits d’interprétation, 50 ans après.
Tous ne voient pas, dans le passé des mineurs, un « acte de bravoure » patriotique. Et particulièrement les quelques militant·es qui se sont réuni·es non loin de là, en début d’après-midi, à l’appel du collectif Liévin 74, devant deux stèles en hommage aux « 42 mineurs envoyés à la mort ». « Notre premier angle d’attaque concerne la mythologie du mineur, rappelle Lucien Petit, membre du collectif Liévin 74. C’est-à-dire toute une série de discours venant d’institutions qui avaient pour objectif d’enfermer le mineur et de l’empêcher de viser un autre avenir. Cette mythologie, elle vise à renforcer l’exploitation du mineur. On veut aussi dénoncer le fait qu’il n’y a pas de fatalité à ces catastrophes. Ce n’est pas le destin qui frappe les mines, les catastrophes sont le résultat d’un choix politique, économique. Le choix de la productivité et du rendement au détriment de la sécurité. »
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L’occasion également d’insister sur le fait que « aujourd’hui, en 2024, le capitalisme continue de tuer ». En effet, selon la caisse nationale d’assurance maladie, le nombre de morts au travail ne fait qu’augmenter. Ils étaient 759 en 2023.
Et que s’il tue en France, il tue aussi partout dans le monde, notamment dans de nombreux pays où la production a été délocalisée, comme la Chine ou le Chili.
Pour Jean-François, fils de mineur qui a failli descendre dans la mine ce funeste 27 décembre 1974, ce qu’il s’est passé ce jour-là est bien un « assassinat ». « On les a envoyé au casse-pipe. Aujourd’hui, beaucoup d’accidents pourraient être évités car c’est la faute à je-m’en-fous. Mais les choses se sont quand même un peu améliorés. »
Mais Lucien Petit de nuancer : selon lui, « la France est le pays le plus accidentogène d’Europe en matière d’accidents du travail ». Un chiffre corroboré par les données d’Eurostat, qui ne s’en tiennent cependant pas aux accidents mortels.
« On se doit d’être présent, on sait que c’est compliqué, Mais le statut des mineurs, c’est Thorez, donc on a aussi notre responsabilité, affirme Christophe Champiré, ancien maire communiste de Grenay (Pas-de-Calais). Le fait qu’on envoie des mineurs dans la mine alors qu’on sait qu’il y a du grisou au fond et que, manifestement, les contrôles n’ont pas été fait, c’est l’échec de la nationalisation, et le fait d’avoir un État patron qui soit un État social en même temps. La catastrophe de 1974 est le résultat d’une gestion capitalistique de la mine. En 1974, le Parti communiste et la CGT n’ont pas voulu de la commission d’enquête populaire, nous étions responsables car nous avons voulu nationaliser les Houllières. Et c’est compliqué d’assumer qu’on a échoué dans le souhait des résistants. On doit refaire cette histoire de la catastrophe. »
Une « autocritique » que salue Patrick, militant « mao-spontanéiste » et ancien participant à la commission populaire d’enquête sur la sécurité au travail qui s’est tenue en 1975 et 1976 à l’initiative du PCR-ML (parti d’obédience maoïste créé en 1974), à la suite de la catastrophe de Liévin. « 50 ans après, les termes du débat restent les mêmes. Je pense qu’il y a une construction culturelle de la bourgeoisie qui considère qu’en tant que classe dominante, elle a à dire ce que les classes dominés ont à penser. L’État bourgeois est loin de reconnaître la maltraitance qui est faite aujourd’hui à ceux qui bossent. »
D’où l’importance de maintenir la flamme de ces histoires ouvrières, malgré leurs contradictions et leurs réinterprétations. Car la mémoire elle-même est un enjeu de combat.
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