«Des musiques énervées, sombres, mélancoliques, qui grésillent les nuits de pleine lune à écouter une canette à la main ». C’est comme ça que ça se présente. Ça n’a l’air de rien comme ça, et en même temps, c’est tout un monde : une volonté de déployer de nouvelles voix qui viendraient briser ce silence intéressé qui convient si bien à nos sociétés bourgeoises. Qui viendraient déranger ceux qui nous disent de ne pas faire trop de bruit, surtout de ne rien laisser transparaître, de ne jamais se mettre en colère, de ne jamais rien revendiquer de trop déplaisant, de ne jamais lever les yeux trop haut, mais de garder le sourire.
Il y a des moments où on s’autorise à en avoir marre, et à oser le dire. Dire, contre le silence. Faire trembler des murs et des consciences, faut bien qu’on se rattache à quelque chose, et ici, on le fait à travers la musique.
Ici, c’est ce mercredi soir, à la nuit tombée. Pas vraiment une nuit de pleine lune mais on peut l’imaginer. Une veille de jour férié comme il y en a tant, mais ce soir, on ouvre les portes du Centre Culturel Libertaire lillois un peu par hasard et on se laisse porter par des volontés nouvelles.

Ce soir-là, un nouveau collectif, GZLVNR (« c’est venu comme ça, ça peut avoir plein de déclinaisons » me dit-on) a décidé de s’imposer dans l’espace artistique lillois en dénonçant des scènes musicales trop masculines.

Un collectif « parti de discussions qu’on avait entre nous, d’un constat qu’à Lille, la scène musicale est remplie de mecs cis*, mais aussi dans les organisations de concerts, dans le public, les pogos etc » nous rapporte Faustine, une des membres à l’origine de la création du collectif en février dernier. Elles sont aujourd’hui une vingtaine, réunies sur un serveur Discord pour s’organiser. « On avait envie de participer à cette scène activement et de donner la place à des meufs et des minorités de genre* pour qu’elles puissent participer, jouer de la musique. »
Pour dénoncer une scène majoritairement représentée par des hommes, Faustine nous donne en exemple un sondage du Centre National de la Musique (CNM) paru en 2021 sur la représentation des femmes dans les programmations des festivals spécialisés, qui affirme qu’au Hellfest (le plus gros festival de cette scène en France) « seules 3 % des artistes programmées sont des femmes ». Selon le CNM, si le Hellfest est un mauvais élève, ce n’est pas le seul : le Motocultor, autre festival phare de la scène rock/metal française, ne comprenait en 2019 également que 3 % d’artistes féminines programmées. Les groupes y étaient majoritairement masculins à 88 %, seuls 7 % des groupes étaient paritaires.
Face à ce constat, il est donc nécessaire de s’organiser, reprend Elya, une des membres fondatrices du collectif : « Se faire les armes et les dents sur des moments collectifs comme on veut faire, ça amène à faire des groupes, à monter sur scène. On veut créer un endroit où on sent à l’aise, où on peut casser ce syndrome de l’imposteur. »

Une initiative qui en rejoint d’autres ailleurs en France, rappelle Faustine, qui cite « des initiatives ailleurs comme à Paris avec « Salut les zikettes » qui part des mêmes bases avec des ateliers d’auto-formations musicales pour permettre aux meufs et aux minorités de genre de prendre leur place. Ça existe dans plein de villes et ça n’existait pas à Lille, on voulait avoir un truc prêt à ça ».
Une heure avant notre interview, le collectif publiait sur Instagram sa première date concernant un atelier d’auto-formation musicale sur inscription, prévu le 10 juin prochain, à 18 heures, au Centre Culturel Libertaire.
Anna, elle, décrit un « boys club » où « c’est difficile pour nous de trouver notre place ». La militante féministe, qui a fait des études d’arts graphiques, maintient que pour elle, la création d’un tel collectif, « c’est aussi pour créer des appels d’air ailleurs. On veut dire aux meufs et aux minorités de genre : vous pouvez venir sur scène, vous entraîner, vous sentir plus légitimes ».
Et quand on lui demande pourquoi choisir la scène rock/metal/punk plutôt qu’une autre, Anna nous répond qu’« il y a une virilité spécifique dans cette scène, qu’on observe notamment pendant les pogos ». Elya abonde : « J’évolue beaucoup dans cette scène-là, quand tu vas sur la scène metal c’est rempli de mecs, c’est une scène complètement malade de misogynie. Forcément, moi, ça m’a touché, mais ça nous a toutes touchées différemment sur d’autres scènes. Dans le public, la violence est spécifiquement masculine. »

L’envie était donc présente de créer des scènes plus ouvertes, ce qui passe par une forme de formation et d’auto-formation pour permettre au développement de ces nouvelles scènes bien que, comme le rappelle Elya, « il y a déjà des meufs dans la scène punk, mais majoritairement on ne voit que des mecs cis ».
Quand à la question de la non-mixité au sein du collectif, Anna rappelle la réflexion qui a entouré la création de GZLVNR : « la question de comment on qualifie ou pas la non-mixité, elle est en travail aujourd’hui. On s’est posé la question initialement de proposer un espace sans mecs cis, mais on a préféré quelque chose de plus ouvert, c’est pour ça qu’on parle de meufs, de minorités de genre, de queer… Avoir un endroit où des gens avec une expression de genre plus fluide peuvent aussi trouver leur place ». « Plutôt que de faire excluant, on a voulu inclure », rajoute Faustine.
Et autant commencer fort. C’était l’idée de ce mercredi soir, au cœur de la célébrissime cave du CCL pour qui sait s’aventurer dans les soirées lilloises. 4 groupes présents avec chacun leurs spécificités, une programmation franchement bien organisée entre le shoegaze sérieusement affiné des lillois⸱es de Belljars, le sludge qui tâche de Dendrophilia venu tout droit d’Italie, et le grindcore « chasteté » et acrobatique de Cuntroach. C’était puissant, et ça rappelle l’exigence de scènes plurielles, ouvertes, et créatives pour que le public s’y retrouve. Et je pense que ce soir, le public s’y est bien retrouvé.

Les parisiens de Cerbère étaient également à l’affiche mais votre serviteure n’a pas pu résister aux derniers transports en commun de minuit. J’ai dû partir bien tôt mais avec des idées plein la tête. Ce n’est que partie remise.
Premier atelier d’auto-formation musicale le 10 juin, à 18 heures, toujours au CCL (4, rue de Colmar, à Lille) sur inscription auprès du collectif. Avant ça, GZLVNR organise une première jam en non-mixité à l’Orangerie (Rue du Jardin des Plantes à Lille), le 1er juin à 15 heures.
Pour contacter le collectif, leur poser des questions, les rejoindre, contactez-les sur Instagram, Mastodon, ou par mail.
* mecs cis / hommes cisgenres : hommes dont l’identité de genre correspond à celles qui leur a été assignée à la naissance.
* minorités de genre : terme générique pour qualifier les personnes « minorisées » du point de vue du genre : trans, non-binaires, d’expression de genre fluide etc…