« Venez vite, il a une arme sous le t-shirt ».
On aurait du mal à y croire, et pourtant, cette phrase a bel et bien été prononcée ce samedi en plein Paris, alors qu’une manifestation pour dénoncer le génocide en Palestine se déroulait dans la capitale, à l’appel de plusieurs organisations comme EuroPalestine ou le NPA.
Dans la manifestation, « au niveau du 120 avenue Philippe Auguste, alors que passait le cortège d’EuroPalestine qui était en fin de manifestation, un homme a arraché la pancarte d’une manifestante qui se trouvait sur le trottoir », témoigne Nicolas Shahshahani, vice-président du collectif EuroPalestine, auprès de L’Insurgée. « D’autres manifestants ont apostrophé cet individu en lui demandant pourquoi il faisait ça. Rapidement, celui-ci a levé son t-shirt et a dévoilé de manière ostentatoire une arme, plus exactement la crosse d’un pistolet qui dépassait de sa ceinture. La police a été immédiatement prévenue. »
Deux vidéos circulent depuis sur les réseaux sociaux, où l’on voit en effet l’homme armé mis en joue par plusieurs policiers devant le magasin bio « Le retour à la terre » situé au 114 avenue Philippe Auguste. Sur une de ces vidéos, vue plusieurs millions de fois, on peut entendre ainsi un des policiers crier « En-dessous [le manteau] y’a quoi ? » et des manifestant·es autour crier « Filmez-le, filmez-le ! ». L’homme, d’un calme plat, montre alors son arme cachée sous le t-shirt, il sera plaqué au sol puis embarqué par la police.
🚨 Urgent. Un soutien d’Israël a menacé des manifestants avec une arme à feu à la manifestation pour la Palestine cet après-midi à Paris, rapportent plusieurs militants. L’homme a été interpellé. pic.twitter.com/7s54lKKC6u
— Révolution Permanente (@RevPermanente) December 7, 2024
Mis en garde à vue, l’homme d’une soixantaine d’années et de nationalité française, ami avec plusieurs militaires des forces armées israéliennes sur les réseaux sociaux, sera libéré lundi matin et placé sous contrôle judiciaire. Si rien n’a réellement fuité concernant ses motivations, tout porte à croire que celui-ci tentait de s’en prendre de manière préméditée à des militant·es pour la paix en Palestine. Détenteur d’une arme de catégorie D (vente libre et détention sous conditions), un « pistolet d’alarme », il sera jugé en mai prochain. Interrogés par le média en ligne Off-Investigation, les commissariats parisiens n’ont pas répondu.
Deux plaintes ont d’ores et déjà été déposées pour « menaces de mort » et « intimidation avec arme », et « 4 autres manifestantes ont fait une déposition similaire », selon EuroPalestine.
Mehdi* a porté plainte. C’est lui qui a dénoncé l’homme armé à la police samedi. « J’étais dans le cortège d’EuroPalestine, à un moment une camarade vient vers moi et me dit qu’il y a un sioniste plus loin. Je lui demande comment elle sait que c’est un sioniste, elle me dit qu’il lui a arraché sa pancarte et l’a pris en photo. Je m’avance vers lui et je le vois demander à son ami de me filmer. Là, je me pose des questions et je filme aussi. Là, il s’énerve et me montre à plusieurs reprises son arme cachée dans sa ceinture. Mon premier réflexe a été de prévenir la police, ils sont intervenus très rapidement. »
Malgré cela, il dénonce la manière dont lui et ses camarades auraient été reçus au commissariat du 11e arrondissement. « On a été fouillés avant de déposer plainte, je ne trouve pas ça normal. La policière qui a pris ma plainte était totalement contre nos positions. La personne à qui on a arraché sa pancarte voulait également porter plainte, la police a refusé et a juste pris sa déposition. J’en ai eu pour 15 minutes montre en main, et depuis je n’ai eu aucune nouvelle. »
Elsa Marcel, avocate des 2 manifestant·es ayant porté plainte, déplore dans un communiqué « [avoir] appris que l’homme serait finalement libéré sous contrôle judiciaire. Nous ne pouvons que constater avec effarement le deux poids deux mesures à l’œuvre dans cette décision. Tandis que des soutiens de la Palestine sont jugés en comparution immédiate pour des tweets, le Procureur choisit de faire preuve de clémence à l’égard d’une provocation armée visant une manifestation, visant une manifestation contre le génocide à Gaza en plein Paris. »
Samedi 7 décembre, un homme armé a menacé des manifestants pro-palestiniens. Après une garde-à-vue, il a été placé sous contrôle judiciaire. Cette décision tranche avec la répression brutale réservée aux soutiens de la Palestine, parfois jugés en CI pour un tweet. Communiqué ⤵️ pic.twitter.com/eDMYmlFL8C
— Elsa Marcel (@Elsa_Marcel) December 10, 2024
« Nous, on rend public cet incident en constatant l’omerta au niveau des médias mainstream. Ils ont pourtant eu connaissance de la situation. Ce traitement s’est généralisé depuis le début du génocide à Gaza en octobre 2023 », continue Nicolas. En effet, à ce stade, hormis Off-Investigation et Révolution Permanente, aucun média français n’a repris l’information. Seul Actu Paris a signé un article ce lundi, précisant par ailleurs que l’exploitation des images de « vidéoprotection » et « vidéos filmées sur place » étaient en cours, selon le Parquet de Paris.
Le silence médiatique interroge au regard de la gravité de l’événement. « Dans nos manifestations quand on crie « Israël assassin, Macron complice » on pèse nos mots ! Nous avons des gouvernements et des médias possédés par des milliardaires dont le gouvernement fait la politique et qui servent l’agenda israélien. C’est gigantesque ! » déplore Nicolas Shahshahani.
Dans un procès-verbal que L’Insurgée a pu consulter, une des manifestantes ayant déposé plainte affirme « [avoir] l’habitude » de ce genre de situations. « Quand ils [les militants pro-Israël, ndlr] nous voient, ils nous agressent, mais avec une arme, c’est la première fois ». Elle affirme également vouloir porter plainte pour « terrorisme » mais rien de tel ne sera, à ce stade, retenu par le Parquet. Actu Paris précise qu’au regard des faits reprochés, la peine encourue pour l’homme mis en garde à vue ce week-end est de maximum « trois ans d’emprisonnement [et] 45 000 euros d’amende ».
De son côté, Mehdi, a été mis en arrêt de travail pour une semaine. « Je fume plus, je tousse, je ne dors plus la nuit. Je sors de chez moi, je surveille. On a pas le choix, il faut le faire pour nos proches ». Il dénonce lui aussi un « deux poids deux mesures » : « Si le mec avait été noir ou arabe, le traitement de faveur n’aurait pas été le même. Là, il a eu le droit aux sommations et n’a pas reçu de coup de taser. »
Amnesty International a récemment affirmé dans une enquête qu’Israël commet bien un génocide en Palestine. Celui-ci a fait plusieurs dizaines de milliers de mort·es (près de 45 000 selon et 100 006 blessé·es les chiffres officiels, près de 190 000 mort·es selon la revue The Lancet) et deux responsables israéliens, le premier ministre Benyamin Nétanyahou et l’ex-ministre Yoav Gallant, sont désormais visés par des mandats d’arrêts internationaux.
Cette attaque ne dissuadera pas pour autant les militant·es pour la paix en Palestine et au Liban de manifester contre le génocide en cours. Mehdi l’affirme, « il faut bien le noter, il faut bien qu’ils sachent qu’ils auront beau faire ce qu’ils veulent, ça va pas nous faire peur. Je continuerai à sortir pour dénoncer le génocide. »
Informations à suivre...
*Le prénom a été modifié.