« Ils veulent me mettre dans la merde financière ». A Tourcoing, une responsable syndicale mise à pied.

Sophie a 35 ans. Depuis 2 ans et demi, elle bosse 39 heures par semaines, payées au SMIC, au sein de l’entreprise Westlake, spécialisée dans la production de « semi-produits » plastiques à destination de l’industrie médicale, à Tourcoing (Nord). Elle travaille « normalement », ce sont ces mots. Parallèlement à ça, elle se bat dans sa vie personnelle contre 2 cancers. Au fil des mois, relevant plusieurs irrégularités au sein de son entreprise, elle décide de contacter la CGT locale pour qu’elle puisse l’aider à monter une section.

Selon Sophie (au centre de la photo), la vie dans l’entreprise est particulièrement difficile, avec « beaucoup d’humiliations », beaucoup d’emplois précaires, une entreprise qui « marche à la peur »… Plusieurs ouvriers en CDD ont rapporté à Sophie avoir été harcelés par leur direction.

Il y a 2 mois, elle est officiellement investie comme responsable syndicale au sein de son entreprise. C’est à partir de là que les ennuis se sont accélérés pour elle : « Quand la DRH [directrice des ressources humaines] a reçu le courrier officialisant mon mandat syndical, elle s’est très vite montré menaçante. Elle m’a dit : ‘Quand Max [Maximilien Delemazure, président de Westlake] va te convoquer, tu vas parler.’ »

« Tu vas parler ». C’est ce qu’elle a été sommée de faire, ce mardi 3 septembre, où elle était convoquée pour un entretien préalable à licenciement. Le 26 août dernier, elle recevait un courrier lui indiquant sa mise à pied conservatoire pour des « faits graves », ceux-ci n’étaient pas détaillés dans la lettre.

10 heures ce mardi matin, soit 1 heure 30 avant l’entretien, la CGT s’affaire déjà à installer une tonnelle pour distribuer du café aux quelques personnes venues soutenir Sophie, et s’abriter du temps pluvieux qui menace d’apparaître. Une sono diffuse la playlist syndicale habituelle, rythmée par le « On lâche rien » d’HK et les Saltimbanks ou bien « Manu » de Damien Saez. L’idée, c’est de se rendre visible sur ce petit bord de route situé entre Tourcoing et Mouvaux.

Pour Brahim Elfellagha (un pseudonyme), secrétaire général de l’union locale CGT Tourcoing, « Sophie est une dame combattante, déjà par rapport à sa maladie. Elle a relevé beaucoup d’irrégularités dans son entreprise, alors elle est venue nous voir. On lui a proposé d’être RSS [représentante de la section syndicale, NDLR]. Depuis, elle subit du harcèlement. »

Selon Brahim, « le patron se plaint de perte d’activité. Mais la famille Delemazure possède plusieurs entreprises aux États-Unis, en Chine, ou au Canada. Le patron a peur qu’on aille voir ses comptes. »

Le groupe MTD-Actimed, détenu par Alexandre et Maximilien Delemazure, a racheté son fournisseur Westlake Plastics en 2013, lui permettant en effet de s’installer notamment aux Etats-Unis. Pour Brahim, le patron Maximilien Delemazure, par ailleurs ancien combattant de MMA, n’accepte pas de voir la CGT se développer dans l’entreprise. « Il a déjà menacé de venir nous voir avec d’autres combattants. Vendredi, alors qu’on tractait, il a failli me renverser. »

Un climat pesant, qui complique l’implantation de la section syndicale. « Ça fait peur aux autres », raconte Sophie. « Les gens vous regardent de travers. Je n’ai jamais eu de panneau syndical jusqu’à aujourd’hui. Quand j’ai été mise à pied pour faute grave, c’était écrit que je devais quitter l’entreprise sur le champ. »

Un climat anti-syndical mais surtout très angoissant pour elle. Elle vit seule, doit se soigner de ses 2 cancers. Elle s’inquiète que sa mise à pied dure longtemps, lui empêchant ainsi de toucher son salaire. Pour Sophie, cette situation est une « vengeance » de la part de son patron. « Ils veulent me mettre dans la merde financière. »

Une fois sortie de l’entretien, Sophie raconte qu’on lui reproche du harcèlement à l’encontre des autres employés : « Il y a des personnes qui ont témoigné que je leur faisais peur, que je les regardais méchamment quand je travaillais ». Mais elle se défend : « Je tourne toujours le dos à tout le monde quand je travaille. Je ne comprends pas. On m’a aussi dit que les gens avaient peur que je les renverse en voiture. Selon la direction, j’aurai dit à certains : si je te mets par terre, je te piétine. Ils parlent d’une autre personne, ce n’est pas ma personnalité. »

Elle dit que son patron, qui lui a rapporté avoir plusieurs témoignages d’autres salariés confortant son point de vue, lui a affirmé : « Je ne peux pas garder quelqu’un qui sème la terreur dans mon entreprise. »

La terreur. Sophie garde le sourire mais n’en est pas loin. « Leur décision peut prendre du temps, mais j’espère qu’elle sera vite rendue parce que ça va me poser des problèmes financiers ». Elle pense que les témoignages que la direction possède viennent d’une autre équipe que la sienne, qu’on aurait « manipulé ».

La CGT, elle, reste mobilisée. « On reste sur notre position, on soutient notre camarade », affirme Brahim Elfellagha. « Ils ont rien contre elle. On l’accuse de choses qui ne lui ressemblent pas. Ils l’ont accusé d’avoir agressé verbalement des personnes, comme quoi elle allait les suivre en voiture etc. On soutient notre camarade jusqu’au bout. Apparemment, ce n’est pas la première accusation de ce type dans l’entreprise. Pour l’instant, on attend. Mais on la protège. On va mettre en avant la discrimination syndicale ».

Sophie rencontre un avocat ce samedi. Son combat contre ses cancers et contre son licenciement continue. D’autant que, du côté de Westlake, la situation pourrait s’envenimer, à en croire Brahim Elfellagha : « On a eu une information des renseignements territoriaux, comme quoi le boss qui pratiquait le MMA aurait alerté des amis pour venir en découdre avec nous ».

Contacté par l’Insurgée, Westlake n’a pas répondu à nos questions.

Louise Bihan