Alors que la montée de l’extrême-droite dans le bassin minier du Nord de la France est désormais un fait connu – avec des villes comme Hénin-Beaumont ou Bruay-la-Buissière (62) qui sont désormais des bastions du parti -, la résistance n’est pas toujours une évidence : entre désespoir de cause et esprit de peur qui peut régner dans ces villes. Mais loin de s’avouer vaincu·es, des militant·es tentent de recréer des espaces jusqu’ici perdus où l’après-RN est envisageable. Discussion avec Greg, du jeune collectif antifasciste du Bassin Minier. Nous avions déjà sorti un podcast d’une conférence organisée par ce dernier à Béthune en janvier dernier, aux côtés des chercheurs Félicien Faury et Pierre Wadlow.
L’Insurgée : Pourrais-tu revenir un peu sur la genèse de ce collectif ?
C’est plus ou moins parti du fait qu’en 2022, le RN faisait des réunions dans un café dans une ville du Pas-de-Calais et certaines camarades, voulant les embêter, y allaient et chantaient des chansons, l’Internationale, des trucs comme ça. Ça a commencé comme ça, des petites choses. C’était des réunions avec Killian Auguste Evrard [militant RN qui deviendra député de la 8e circonscription du Pas-de-Calais en juillet 2024, ndlr] et les camarades l’ont traumatisé en chantant l’Internationale. Faut leur rendre hommage, c’est que des femmes qui ont fait ça. Elles ont assuré mais à un moment, elles se sont fait virer du café.
On s’est rendus compte que l’antifascisme n’était plus représenté dans le bassin minier, là où le RN est très fort. Après cet événement en 2022, le collectif s’est monté, on a fait une page Facebook, Instagram, on y mettait pas grand-chose, et puis il y a eu la dissolution. Tous les médias donnaient le RN gagnant, et nous on s’est dit « non, c’est pas possible ». C’est là que moi j’ai rejoint le collectif. Je connaissais des membres, j’ai toujours été antifa. A ce moment, on a commencé des actions, à distribuer des tracts, sur les marchés etc. On ne voulait promouvoir aucun parti, juste être anti-RN. On voulait montrer que le RN votait contre tout ce qui pouvait profiter au plus grand nombre, etc. On a commencé comme ça.
Notre page Facebook et Instagram a été remise à jour, et il y a beaucoup plus de contenus. On a commencé a accueillir des sociologues : Ugo Palheta au LAG de Lens, Félicien Faury et Pierre Wadlow à Béthune, pour nous donner des clefs, pour qu’ils nous aident. Avant, je pensais que le vote RN c’était qu’un vote de colère, un vote qui dit « on en a marre de la politique, c’est tous des connards », et bien non. Félicien Faury explique bien que si t’as pas un fond raciste, tu vas pas voter RN. Tu peux ne pas aller voter, mais tu vas pas voter RN.
Une autre action emblématique qu’on a faite, c’était pendant les dernières élections européennes où Marine Le Pen est venue faire campagne sur le marché de Lillers. Le collectif y est allé pour lui tourner le dos, et a collé des affiches anti-RN. Les militants nous ont bousculé et craché dessus à ce moment.
On essaie de recruter, mais c’est compliqué parce qu’il faut qu’on se sécurise, nous aussi. Toutes nos réunions se font chez une amie qui a des enfants, on peut pas trop recueillir de nouveaux membres à part des vraiment proches, ami d’un ami etc. Mais on a vraiment besoin de nouveaux membres. La moyenne d’âge, c’est autour des 50 ans. On n’est plus jeunes, on a pas autant d’énergie à revendre. Personnellement, je bosse, comme d’autres. Certain·es font partie de plein d’associations. On est tous basés dans une toute petite partie du bassin minier, du côté de Lillers, Auchel, etc… On aimerait avoir des antennes sur tout le bassin minier, même à Douai, mais on galère. On a rencontré la CNT de Lille il n’y a pas longtemps, pour faire des liens. On espère bientôt avoir une salle qu’on va nous prêter pour être plus secure et pour accueillir plus de gens. Pour l’instant, je ne pense pas qu’on leur fasse peur [au RN]. On est une dizaine de vieillards qui ne sont pas habitués non plus à la lutte, mais on essaie ! On voit que ce n’est plus possible. Le Nouveau Front Populaire, c’est bien, mais il faut trouver d’autres moyens de lutter.
L’Insurgée : Pourquoi c’est difficile de recruter ?
Les gens sont fatigués de la politique, ceux de gauche n’y croient plus du tout. Le racisme, c’est une pandémie. Moi, dans mon taf c’est complètement décomplexé, avec des « sieg heil » [cri qui accompagne souvent le salut nazi, ndlr] qui traînent. C’est sous prétexte d’humour, ça part dans tous les sens. On connaît beaucoup de jeunes qui sont fascistes, quoi : anti-immigration, anti- « assistés »… Mais le problème, c’est pas les assistés pauvres, c’est les assistés riches !
Ils sont forts aussi de l’autre côté, ils sont en nombre, ils sont structurés. Ils ont de l’argent. Alors, nous, on essaie de recruter, de dire autour de nous « tiens, tu dis que t’es accord avec nous, prends des affiches et va les coller ». On essaie de faire au mieux. Mais on a quand même des soutiens, notamment les radios locales, Micros-Rebelles et PFM [radios de Lens et d’Arras, ndlr], qui couvrent nos événements et nous donnent la parole.
L’Insurgée : Pourquoi plus dans le bassin minier qu’ailleurs ?
La gauche a fait de la merde dans le bassin minier. Il y a eu beaucoup de malversations à gauche, faut être clair. Ça met la suspicion sur les gens de gauche. Le pire président qu’on a eu, c’était François Hollande. C’était censé être un socialiste. La loi travail, c’est quand même lui. Et il nous a amené Macron ! Quand tu as des gens qui se disent de ton bord et qui te trahissent à ce niveau, t’es blasé.
Beaucoup sont déçus de la politique, déçus de la lutte. Forcément, on est un peu blasés, mais on va pas lâcher.
L’Insurgée : Justement, malgré le contexte difficile, c’est quoi tes raisons d’espérer ?
La camaraderie est extrêmement forte. Même si c’est des gens que je connais depuis peu, c’est ma bouée d’oxygène. Je travaille dans une boite où c’est chaud, je m’en prends plein la gueule. Je suis isolé, et rejoindre le collectif c’est ma bouée d’oxygène, des gens bienveillants. Ça, c’est important. Plein de gens nous soutiennent, les sociologues qu’on reçoit ne nous apportent pas de solutions clés en main, mais nous apportent quand même des clés qu’il faut qu’on sache utiliser.
On espère avoir un local, pour accueillir d’autres membres, surtout des jeunes, et d’avoir des gens de tout le bassin minier. Mais après, c’est des gens qui sont confrontés au RN en permanence. On a pas de maires RN autour de chez nous mais ça risque de pas tarder en 2026. On va essayer de se battre. Les gens sont pas non plus débiles. Le sursaut des européennes nous a fait du bien, le fait que le NFP passe devant le RN, alors que tous les sondages donnaient le RN majoritaire, ça nous fait nous dire que se mobiliser, ça fait bouger les choses. Il faut montrer ce qu’il se passe de bien dans les villes autour de chez nous qui ne sont pas RN. On espère garder quelques villes. On a Bruay et Hénin qui sont des gros bastions. Je pense que les gens qui ont affaire au RN à longueur de temps sont démoralisés, c’est pour ça qu’on a du mal à recruter. On est un petit collectif pour l’instant, on espère que ça va grossir.
Il faut faire comprendre aux gens que le RN est contre eux. Je le martèle à mon usine, la force du nombre ça compte. J’aimerais bien que les gens l’entendent, qu’ils aillent s’informer ailleurs que via la télévision. Dans extrême-droite, il y a droite ! Qu’est-ce qu’ils ont pas compris ? Ils ne comprennent pas que la classe populaire dans son ensemble va morfler avec le RN. Et on se bat pour le faire comprendre.
Pour suivre les événements du collectif, rendez-vous sur leur page Facebook et Instagram. Le 4 avril prochain, le collectif reçoit l’historienne Ludivine Bantigny pour parler de son livre « Battre l’extrême-droite ». L’heure et le lieu seront communiqués ultérieurement sur leurs réseaux.