« Du fric pour les facs et les lycées, pas pour la BAC ni pour l’armée ! »
Jeudi, environ 200 étudiant·es, dont les cours ont été banalisés pour la journée afin de participer au mouvement, ont battus le pavé depuis le campus universitaire de Moulins – sciences politiques, droit – jusqu’au siège de l’université de Lille. Le but : dénoncer le nouveau budget du gouvernement Bayrou – adopté en force début février grâce au recours à l’article 49-3 de la Constitution – qui, selon les syndicats, programmerait des coupes budgétaires d’environ 1,5 milliard d’euros. Avec des conséquences délétères pour le monde universitaire, étudiant comme enseignant : « L’université de Lille va devoir couper sur ses formations, son patrimoine immobilier est déjà insuffisant, les moyens dont elle dispose le sont aussi », dénonce Christophe Vuylsteker, enseignant-chercheur en biologie sur le campus Cité Scientifique à Villeneuve d’Ascq et syndiqué à la CGT FERC Sup.
La manifestation de ce jour, répondant à un appel national – d’autres villes ont suivi le mouvement comme Paris, Poitiers, Montpellier… -, est aussi l’occasion pour les étudiant·es de dénoncer la « répression policière » du mouvement : mercredi 12 février, la police est en effet intervenue sur le campus Pont de Bois, à Villeneuve d’Ascq, pour briser un blocage mené par une soixante d’étudiant·es mobilisé·es. Dès 6h30, la police a usé de gaz lacrymogènes contre les étudiant·es. La police ne pouvant intervenir au sein des campus qu’avec l’aval du président de l’université (article L712-2 du Code de l’éducation), c’est donc Régis Bordet lui-même, président de l’Université de Lille, qui est mis en cause par les étudiant·es.

Mais si son nom était inscrit sur de nombreuses banderoles, pancartes, et lèvres, ce n’est pas simplement suite à ces actes de répression. « On vise la présidence car on sait qu’elle peut servir de relais afin que les mobilisations reviennent aux oreilles du ministère », affirme Lina Renoir, secrétaire générale de la Fédération Syndicale Étudiante (FSE) à Lille. Auprès de L’Insurgée, elle énumère les problématiques principales auxquelles sont confrontés les étudiant·es lillois·es. « 240 places vont être supprimées l’année prochaine à Lille. On a également des gros problèmes de bâtiment. Sur le campus Cité Scientifique, on a des bâtiments qui sont fermés à cause de l’amiante. On y trouve également des souris, des rats… »
Et tout ceci, avec des conséquences délétères sur la santé des étudiant·es : «Il y a beaucoup de souffrance psychologiques liée à la précarité, au stress des études… Récemment, il y a eu une tentative de suicide dans un CROUS. Dans ce genre de cas, on a souvent peu de réponses de la part du CROUS et de la présidence de l’Université de Lille. On sait que les étudiants sont en souffrance », continue Lina Renoir.

Si la mobilisation est menée par les étudiant·es, le personnel de l’université est présent, malgré un contexte difficile. « Il y a un début de mobilisation, mais ce n’est pas encore la révolution », témoigne Christophe Vuylsteker. Lui pointe les difficultés spécifiques auxquels sont confrontés les enseignants-chercheurs dans le nord de la France. « Il commence à y avoir un peu de colère chez les enseignants-chercheurs. L’HCéres [Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, ndlr] est en train d’évaluer les laboratoires : on a une évaluation négative de 55 % à l’université de Lille », dénonce-t-il.
En effet, mi-février, l’HCérés a rendu ses avis concernant les licences, masters, et laboratoires des universités de la vague E, situées en Île-de-France hors Paris, à Mayotte, la Réunion et dans le nord de la France. Des avis qui ont choqué une partie de la communauté académique française, qui soupçonne même une altération des résultats, voire une fraude. Une évaluation qui aura bien sûr des conséquences sur l’attribution des crédits budgétaires au sein de l’université de Lille.
« Ça ne frappe pas que les sciences humaines et sociales et les facs parisiennes. On a des arguments de rejet qui sont absurdes. On a aussi affaire à l’histoire des Key Labs, et des propos du président du CNRS qui sont inquiétants », s’émeut Christophe Vuylsteker.

Le 12 décembre dernier, Antoine Petit, président-directeur général du CNRS annonçait la création de « Key Labs », un statut accordé à des laboratoires « d’excellence », qui concernerait pour l’instant 25 % des unités mixtes de recherche en France. Une annonce qui a secoué, elle aussi, le monde universitaire. Le collectif RogueESR, créé en 2017 pour « promouvoir une université et une recherche libres, exigeantes et placées au service de l’intérêt général et de l’émancipation, a contrario de la politique menée par le gouvernement actuel », dénonce un « démantèlement » du CNRS et est à l’origine d’une motion de défiance déjà signée par plus de 5000 chercheuses et chercheurs.
« La manifestation d’aujourd’hui a été déclarée par les étudiant·es mais c’est important pour nous de marquer notre soutien », continue Christophe Vuylsteker. « De notre côté, à la CGT, on a fait des tournées de service pour aller voir les collègues avec des tracts. Nos heures d’information syndicale se transforment actuellement en assemblée générale pour sensibiliser petit à petit sur les moyens en visant le ministère. Le 11 mars, il y avait un mouvement intersyndical, car le budget était présenté devant le CNESER à Paris. Il y avait des rassemblements devant le CNESER, mais aussi localement ». A Lille, une cinquantaine de personnes étaient rassemblées mardi devant le rectorat.
Du côté étudiant, la mobilisation a débuté, elle « début février », affirme Lina Renoir. Soit, au moment de l’adoption du budget Bayrou. « On a organisé des assemblées générales, on était 200 sur les dernières, on a organisé des barrages filtrants, mais aussi deux blocages sur Pont de Bois qui ont été très largement réprimés par la police. »
Si étudiant·es et personnel de l’université se mobilisent de manière séparée, des « convergences » se construisent malgré des désaccords stratégiques. « Ce qu’on reproche aux étudiant·es, c’est de se concentrer surtout sur Régis Bordet », reprend Christophe Vuylsteker. « Pour nous, c’est très personnalisé, alors que les problèmes budgétaires ne sont pas de son fait. C’est un choix national. On peut comprendre le désaccord car ils ont essuyé les plâtres suite à l’intervention des forces de l’ordre en février dernier. On a pas essuyé les mêmes choses, donc on a des regards discordants. Mais sur le budget, le cœur de cible, c’est pas le président. »

Malgré tout, Christophe affirme que le personnel « essaie de porter un mouvement commun, de permettre aux mobilisations de se faire ».
Des échos similaires du côté de la FSE, qui voit même plus loin : « On espère massifier et être rejoints par tous les secteurs touchés par les coupes budgétaires : culture, médical… »
Le 20 mars prochain, une journée de mobilisation est prévue par les syndicats pour continuer le combat sur la réforme des retraites de 2023. Les assemblées générales du monde de la culture ont d’ors et déjà annoncé des actions pour cette journée afin de défendre leur secteur attaqué, lui aussi, par les coupes budgétaires. Les étudiant·es comptent bien s’emparer également de cet appel.
La Coordination Nationale Étudiante, réunissant de nombreux·ses délégué·es étudiant·es mobilisé·es partout en France, devrait bientôt se réunir pour décider de prochaines dates d’actions. Des appels à organiser des « jeudis noirs » commencent déjà à circuler. Lina l’affirme : « On sera présents jeudi prochain ».

Le 14 février dernier, nous recevions Fanny, de l’Union Pirate, sur Twitch, pour parler mobilisations étudiantes. Le replay est disponible ici !
Crédits photo couverture et articles : Louise Bihan.