Une enquête pour « abus de confiance » ouverte et un collectif de salarié·es mobilisé·es : le Secours Populaire de Lomme dans la tourmente.

« Je ne veux pas remettre en cause tout le Secours Populaire, mais je ne peux plus cautionner ça.« 

Les mots de Marianne Guilbert, bénévole au Secours Populaire de Lomme depuis 2 ans et demi, sont francs. Ce samedi 21 septembre au matin, elle s’est mobilisé aux côtés de quelques salarié-es et ancien-nes salarié-es de la structure locale pour dénoncer le « management toxique » de la direction. Une quinzaine de personnes composent ce collectif créé avant l’été à la suite d’une enquête judiciaire ouverte pour « abus de confiance » à l’encontre de la structure. Accompagnés par la CGT, qui était présente également ce samedi, ses membres rapportent des « menaces » et « pressions » psychologiques depuis plusieurs années.

« Sur la dizaine de salariés, 6 sont en arrêt maladie pour des raisons différentes, mais quand même graves » dénonce Marianne Guilbert, qui précise sur les 6 salariés, 2 sont  » psychologiquement démolis, ne peuvent pas bouger de chez eux et sont suivis par des psys. « 

« J’habite le quartier, j’ai beaucoup aidé à l’épicerie solidaire, mais ça fait 3 mois que je ne suis pas venue, je ne veux pas vivre ça.« 

« Ça« , ce sont les « menaces » et « insultes de la direction » que dénoncent à l’unisson les membres du collectif. Depuis juin, le comité local n’a plus de bureau et la directrice, Muriel Sergheraert, est en arrêt maladie. Ancienne adjointe aux solidarités de la ville de Lomme, cette dernière a démissionné en juillet dernier pour  » raisons personnelles « . Cependant, les tumultes au sein du Secours Populaire ne sont sûrement pas pour rien dans sa décision. Après une fermeture estivale, l’association a donc rouvert ses portes, presque normalement.

Selon Marianne Guilbert, cette situation pèse énormément sur la vie de la structure.  » J’ai vu des gens en détresse qu’on a pas aidé, elle décide de qui a le droit à un colis d’urgence ou non. Les bénéficiaires qui venaient à l’épicerie solidaire me disaient que c’était plus cher que chez Lidl. Ils subissent également les insultes de la directrice. On a beaucoup de bénéficiaires, mais peu d’activités solidaires sont réellement faites par la structure, tout est pris en charge par la structure départementale. « 

Selon elle, le Secours Populaire national  » prend l’affaire en main « . Mais dans les colonnes de la Voix du Nord, c’est le Secours Populaire du Nord qui affirmait en août que  » pour [eux], la décision est gérée « .

Pourtant, l’affaire est loin d’être terminée. Plusieurs salarié·es et ancien·ne·s salarié•es ont récemment porté plainte pour différents motifs (« harcèlement moral« , « agression« , « pressions psychologiques« …). Tou·te·s espèrent que la situation puissent se régler rapidement.

Vianney, un ancien salarié interrogé par l’Insurgée, se dit en « colère« . Il travaillait au sein de la ressourcerie en 2021, au moment du Covid. « Quand j’étais bénévole, ça allait. C’est une fois embauché que le comportement a changé. On nous disait qu’on était des feignants, on me demandait régulièrement de changer les objets de place quand ça ne lui allait pas [à la directrice, ndlr]. Elle joue beaucoup au chantage, aux menaces, elle essaie de nous faire peur« , dit celui qui s’est mis en arrêt de travail de décembre 2021 jusqu’à la fin de son contrat et qui peine depuis à trouver du travail. « Elle nous disait qu’on faisait rien, alors qu’on se démenait. Elle trouvait tout le temps une excuse pour dénigrer notre travail. Elle voulait pas non plus qu’on trace les ventes. Son mari est déjà venu prendre 20 euros dans la caisse en disant qu’il les remettrait plus tard, il ne les a jamais remis. Je pense que la directrice se met des enveloppes dans sa poche« . Au-delà de toutes ces accusations, Vianney rapporte le récit d’une « agression » qu’il aurait subi en décembre 2021, juste avant de se mettre en arrêt de travail. « Ce jour-là, il pleuvait. Les locaux n’étaient pas ouverts. On est rentrés dans une voiture avec une collègue pour pas rester dehors. Quand elle est enfin venue nous ouvrir, elle nous a répondu qu’elle a tardé parce qu’elle était occupée. Je lui ai dit ‘tu vas pas commencer’, ça lui a pas plu. Elle n’a pas arrêté de m’insulter. J’ai appelé mon conjoint qui a tout entendu. Je suis ensuite allé à la gendarmerie qui n’a pas voulu prendre ma plainte, j’ai déposé 2 mains courantes. Aujourd’hui, ma plainte a enfin été prise« .
« Quand je suis parti, elle m’a dit ‘je vais te détruire’. Plusieurs fois, j’ai voulu trouver un autre travail mais elle me détruisait auprès des potentiels employeurs. J’ai fait une dépression, je suis sous traitement depuis« . Il dit aujourd’hui ne « plus avoir peur » et a rejoint le collectif en lisant un article paru dans la Voix du Nord.

Salariée en arrêt maladie, Marie* a rejoint la mobilisation de ce samedi matin. Celle qui dit avoir porté plainte pour des pressions psychologiques n’a pas encore été entendue par les enquêteurs. « On a quelques soutiens de bénévoles, mais c’est compliqué, ils ne voient pas ce qu’il se passe. Elle isole les bénévoles des salariés pour pas que les salariés parlent aux bénévoles« . Une accusation rejetée en bloc par Thelma Clerbout, salariée de l’antenne lommoise interrogée par l’Insurgée, et fille de la directrice Muriel Sergheraert : « Les accusations de tentative d’isoler les salariés et les bénévoles sont totalement infondées. Nous passons nos journées avec les bénévoles, ce qui est le principe même d’une association. Nous travaillons étroitement avec eux. Bien entendu, les bénévoles consacrent leur temps personnel pour aider le Secours Populaire, alors que nous sommes des salariés sous contrat et nous devons remplir nos tâches et respecter nos obligations contractuelles.« 

Marie maintient : « Les altercations avec la directrice, ça se manifeste par des crises colériques, des pétages de plombs. On ne s’y attend jamais. Il y a eu une très grosse altercation à Pâques, et avec l’enquête pour abus de confiance on a enfin commencé à se parler, puis le collectif s’est créé« .

Face à toutes ces accusations, Thelma Clerbout raconte plutôt comment certain·es de ses collègues salarié•es lui auraient mis « des bâtons dans les roues » : « J’ai eu écho de nombreux propos injurieux et dégradants à mon égard. Afin de ne pas alourdir la charge mentale de notre directrice, je n’ai pas voulu la mettre au courant de ces propos immatures« .

Elle s’étonne des réactions dans la presse. Pour elle, au contraire d’une situation aussi tendue que décrite par le collectif, « des amitiés se sont formées dans le cadre du travail mais également en dehors, une bonne entente s’est instaurée« .


« On me disait que j’étais payée à ne rien faire, accompagné de regards noirs. On me disait que j’étais trop jeune pour comprendre quoi que ce soit. A plusieurs reprises, des moqueries survenaient lors de l’accueil des bénéficiaires« . Elle précise cependant ne pas « vouloir rentrer dans les détails« . Elle dénonce également des « appels anonymes » dont elle ignore la provenance. « Je ne sais pas qui en est à l’origine, mais ces appels ont bien eu lieu. Même si je ne connais pas l’identité des personnes, il est possible de reconnaître certaines voix lorsqu’on se côtoie quotidiennement« . Elle rapporte également, sans avoir été sur place, que « plusieurs personnes se sont retrouvées en pleurs, angoissées par les tentatives d’intimidation, les menaces et les propos tenus lors de la manifestation » de Samedi. Pour Faraj*, salarié depuis 2018 et membre du collectif présent ce jour-là, ces accusations sont mensongères : « Ce n’est pas vrai, personne n’a été agressif. Je n’ai vu personne partir en pleurs, c’est une tactique pour nous déstabiliser. Nous n’avons rien à voir avec n’importe quelle violence. La direction joue là dessus pour déstabiliser le collectif. »

Du côté de ce dernier, composé également « d’anciens salariés, d’anciens bénévoles, d’anciens services civiques et de bénéficiaires« , tous et toutes comptent bien poursuivre la mobilisation. Le collectif rappelle bien qu’il ne veut pas mettre à mal le Secours Populaire : « il faut que ça perdure mais pas comme ça« , raconte Marianne Guilbert. Le collectif continue de demander la démission de la directrice.

« Aujourd’hui, on fait un rassemblement pour voir la détermination du collectif, puis on va débriefer« , rapporte Faraj. « Le collectif existe depuis un moment, c’est pas évident. On continue à demander la démission de la directrice« .


Contacté, le maire de Lomme, Olivier Caremelle, n’a pas répondu à nos questions. En Juillet dernier, dans les colonnes de la Voix du Nord, il se disait cependant « très attentif à ce qu’il se passe » au sein de l’antenne locale du Secours Populaire.

* Le prénom a été changé afin de préserver l’anonymat.

Écrit et photo : Louise Bihan

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