Maître Pauline Rongier et Khadija devant le tribunal de Paris Maître Pauline Rongier et Khadija devant le tribunal de Paris

« Qu’est-ce qu’il y a de plus marquant que le procès auquel la victime n’est pas conviée ? ». Khadija la combattante face à l’État français.

Mercredi 9 avril 2025, Khadija et son avocate Maître Pauline Rongier se rendaient devant le tribunal judiciaire de Paris pour faire face à l’Etat français. Elle l’accusent de « déni de justice » dans l’affaire de violences et de viols que Khadija a subi de la part de son ex-conjoint, condamné en 2020 pour violences.

Mercredi 9 Avril 2025, Maître Pauline Rongier et Khadija, connue sur les réseaux sociaux sous le nom Khadija la Combattante, se sont rendues devant le tribunal judiciaire de Paris après avoir engagé la responsabilité de l’État sur les dysfonctionnements graves dont Khadija estime avoir été la victime suite à une erreur de convocation dans le procès en assises de son ex-conjoint, mis en examen en 2017 pour torture, actes de barbarie, et viols conjugaux à son encontre. Le procès s’était tenu, lui, en septembre 2020… sans sa présence, donc. Devant le tribunal, son avocate énumère les droits dont bénéficie sa cliente : « le droit d’être entendue, le droit d’être assistée ou représentée par un avocat, le droit de demander le huis clos, droit de poser des questions, droit de remettre des pièces, droit de faire citer des témoins, droit d’être entendue en sa plaidoirie ».


Toute cette affaire est devenue un symbole du traitement des violences conjugales, de la victimisation secondaire et interroge sur les outils mis en place pour protéger les victimes.
Khadija, une jeune femme racisée, issue d’un quartier populaire, a porté plainte en mars 2017 contre son conjoint de l’époque pour des faits de violences et de viols. Mais alors qu’elle pensait qu’à partir de là, elle allait être protégée, c’est la machine judiciaire qui la broie. Elle n’a jamais reçu sa convocation pour le procès en assises de son agresseur e, n’a pas pu être entendue en tant que victime à ce procès et celui qu’elle accuse a été relaxé concernant les viols. Cet acquittement a renforcé le sentiment de toute puissance de l’homme qui, depuis, continuer de la harceler violemment.
Khadija vit en insécurité permanente, et n’a pas d’autre choix que de se battre pour sa vie et sa dignité.


« C’est le paroxysme de ce qui ne va pas dans le traitement des victimes dans le droit français. » Maître Pauline Rongier, avocate de Khadija

Le 26 mars 2017, après avoir réussi à fuir son tortionnaire, Khadija pousse la porte du commissariat de Limoges. Son ex-compagnon, interpellé et placé en détention le 13 mai 2017 alors qu’il se trouvait à l’aéroport, a été mis en examen pour tortures, actes de barbarie et viols conjugaux. Khadija espérait enfin être protégée. Mais c’était un autre calvaire pour elle : l’isolement, la précarité, l’enquête et les
procédures judiciaires. Victime et rejetée par ses proches, elle a connu l’errance de la rue pendant 8 mois. Pourtant, elle a trouvé la force de se rendre disponible à chaque étape de l’instruction pendant 2 ans. Elle a demandé elle-même la confrontation spontanée.
Dignement, elle a fait face à son agresseur qui l’a menacée devant la police. Elle s’est
soumise à tous les examens requis, même les plus intimes. La reconstitution de la tentative de féminicide qu’elle a subi s’est faite sous les regards oppressants d’habitants qui la reconnaissaient.
Elle a souhaité ce procès devant la cour d’assises de Limoges pour être écoutée et espérait entendre le mot « condamné ». Pour maître Pauline Rongier, son avocate depuis 5 ans, « la porte d’après c’est celle du procès » qui est « un moment réparateur ». Mais en 2020, Khadija a découvert sur les réseaux sociaux que ce procès tant attendu, se tenait sans elle. Elle n’a jamais reçu la convocation. Immédiatement, « elle se dit que c’est une erreur. Elle appelle avec courage le tribunal. Elle veut [y] être. […] la cour d’assises refuse d’arrêter le procès alors que la victime est en pleurs » défend son avocate.

« Le tribunal de Limoges a sponsorisé un violeur en puissance »


Maître Rongier explique que le courrier de convocation a été envoyé à l’adresse qu’elle avait fui. Pourtant, il était inscrit dans la procédure d’instruction qu’elle n’y logeait plus depuis trois ans. Maître Rongier ajoute que Khadija n’a pas été contactée par téléphone ni par email. Pour elle, le tribunal de Limoges « ne semble pas voir le problème, alors que pour des faits de viols on ne peut pas se passer de la partie civile »
Ce « déni de justice » et la privation de son droit à la parole, ont des conséquences tragiques sur la vie de Khadija. En l’absence de la victime et de « l’unique témoin, c’est un boulevard pour la défense » argumente Maître Pauline Rongier. Son ex-compagnon a été acquitté des viols en septembre 2020. C’est une « déflagration » pour Khadija qui s’était investie jusqu’au bout dans la procédure. A la barre, elle rappelle que ce jour-là, « il y a eu des youyous quand il a été acquitté ». Khadija n’a jamais pu s’exprimer devant cette cour : « quand j’ai porté plainte, j’avais foi en la justice. […] Le tribunal de Limoges a sponsorisé un violeur en puissance ». Reconnu coupable de violences, son ex-compagnon sera condamné à 8 ans de prison ferme. Il n’en effectuera que 6.
Khadija se retrouve depuis face à un vide juridique, aucun appel n’étant prévu pour les victimes face à un acquittement, même en invoquant l’erreur de convocation. Pour Khadija, on lui a volé son procès et c’est une nouvelle lutte qui commence.


Après les violences conjugales, l’épreuve de l’instruction et un procès sans elle, Khadija s’est lancé dans ce combat pour sa vérité. En 2021, elle a subi une nouvelle audience en opposition qui, d’après Maître Rongier, n’est pas prévue dans la procédure pénale : « cette audience se retourne contre elle ». On l’a intimidée, lui a imposé son agresseur en grand écran et on l’a qualifiée de « folle » alors qu’elle demandait une télévision plus discrète. Son avocate ajoute que « son préjudice dépasse les viols […] aujourd’hui elle est incapable de travailler, elle pleure tout le temps, elle a peur ».
Ensemble, elles ont essayé d’interjeter appel, et déposé une question prioritaire de
constitutionnalité, le 9 juin 2021 : « la cour de cassation a écrit noir sur blanc que le
mandement n’est pas régulier
[…] Depuis 8 ans elle est en audience, je pense que la
succession de fautes en est la cause c’est un message fort de se dire que ça ne sert pas à rien de porter plainte
» plaide Maitre Pauline Rongier. Elle réclame 200 000 euros de dommages et intérêt pour ces 8 ans de déni de justice qui ont mis en suspend toute la vie de sa cliente.

« Devant l’inefficacité de la Justice et de la coopération internationale, Khadija est aujourd’hui en danger »


Selon l’avocate de l’État, Khadija a été convoquée et tout aurait été mis en œuvre pour qu’elle puisse faire valoir ses droits. Devant le tribunal judiciaire de Paris, elle avance que Khadija est « une victime de Monsieur mais pas une victime de l’État » et argue qu’une suspension aurait « imposé un nouveau délai à un accusé déjà en détention depuis trois ans », car les suspensions ne concerneraient que le repos des magistrats. Elle impose à Khadija un discours culpabilisant selon lequel elle n’aurait pas fourni son adresse : « si elle voulait faire valoir ses droits elle pouvait saisir le juge au civil », et prétend que « ce qui est reproché c’est l’acquittement ». Selon l’avocate de l’Etat, Khadija devrait demander des indemnités auprès de son agresseur, plutôt que d’engager la responsabilité de l’État.
Le procureur conclut rapidement la situation estimant qu’il « n’y a pas de faute lourde de l’État » et que Khadija « a bénéficié de ses droits de partie civile. Elle a été citée à l’adresse qu’ils ont déclaré et des démarches ont été faîtes ».
Depuis 2017, Khadija enchaîne les audiences et passe sa vie au commissariat. Elle a déposé cinq plaintes en un an. Son agresseur, obsédé, s’impose dans ses réseaux, alors qu’il a été expulsé vers le Maroc en février 2024. « « Il a réussi automatiquement à savoir mon adresse, mon étage, ma porte, ce que je faisais… »

Avec effroi, Khadija avait découvert par notification sa sortie anticipée. Au pied du mur et pour sauver sa propre vie elle informe : « il a fallu que j’appelle Monsieur Darmanin pour l’expulser. A peine expulsé, il m’a envoyé des menaces. » Les violences continuent et Maître Rongier explique que « devant l’inefficacité de la Justice et de la coopération internationale, elle est aujourd’hui en danger. »
Actuellement c’est Khadija qui vit quotidiennement, submergée dans ce gouffre de
harcèlement et de violences judiciaires, abandonnée aux dysfonctionnements d’un système qui ne semble pas efficace pour protéger les victimes.


En fin d’audience, ce 9 avril 2025, la présidente autorise Khadija à s’exprimer à la barre. Après des remerciements, elle rappelle la stigmatisation des femmes, comme elle, qui osent parler : « Je n’aurai jamais dû être ici, on m’a volé mon procès. Je suis une femme racisée, de cité, donc ça me coute […] Je ne suis pas là pour refaire le procès, je reviens de loin ». Ces démarches sont plus qu’éprouvantes psychologiquement et physiquement pour une victime précaire, isolée et brutalisée par les procédures : « Quand j’ai erré dans les rues, on a retrouvé mon adresse […] Ils auraient pu suspendre, ils ne l’ont pas fait. J’ai tout fait toute seule […] Je ne veux pas qu’on me traite de menteuse. Je suis juste Khadija et je me battrai. Je me bats au quotidien. »
Depuis 8 ans, sa lutte pour faire entendre sa voix, et pour sa dignité, a un coût émotionnel et financier : les frais de justice, la quête d’un logement stable, les dépenses médicales, les déplacements pour l’instruction, et le temps de se rendre obligatoirement disponible pour chaque démarche. En hyper-vigilance et sollicitée constamment par de nouveaux rebondissements violents dans cette affaire, Khadija, malgré sa détermination, peine à pouvoir construire son projet de vie épanouissant. Pourtant, elle est une femme engagée, elle rêve aussi et n’aspire qu’à une vie sereine : « ma vie compte et j’ai l’impression qu’on me punit d’avoir dénoncé mon tortionnaire »
Maître Rongier a conclu cette journée en rappelant que sa cliente « fait ça pour la justice française pour toutes les victimes et pour le droit. »

Le délibéré sera rendu le 21 mai 2025. Khadija et son avocate espèrent qu’une victoire puisse s’inscrire dans une évolution du système judiciaire au profit de toutes les autres victimes.

Photos et vidéos : Sabrina Djellal.