Après la censure, la rupture ! (billet)

C’était attendu, mais le petit plaisir malsain de celles et ceux – comme votre serviteure – que l’on qualifie naïvement « d’observateurs et observatrices de la politique » a préféré maintenir le suspense. Près de 5 heures de discussions interminables, le « chaos » partout répété tant de fois ! La peur, la crainte, les égarements, les bousculades lyriques ! Et puis, autour de 20h30, le couperet final, le visage grave et le ton solennel de Yaël Braun-Pivet qui accompagnait un silence de mort du côté des bancs gouvernementaux au cœur même de l’Assemblée Nationale : la censure du gouvernement a été adoptée à 331 voix. Bien loin devant la majorité requise, c’est-à-dire 288 voix.

Évidemment, la minorité présidentielle s’est empressée de dénoncer « l’alliance » fatale : la gauche et le RN, main dans la main ! Les extrêmes se rejoignent, la prophétie est annoncée, la messe est dite ! Les appels du pied de la droite à la « responsabilité » du Parti Socialiste n’y auront donc rien changé, Olivier Faure se mélenchonise !

Un joyeux spectacle qu’on observe, pour certain·es, les pieds dans nos chaussons, dans nos maisons, un café à la main, en riant, parce que tout cela semble si théâtral pour bien peu de choses.

Il n’empêche : c’est un moment historique. Première motion de censure adoptée depuis 1962 et dans un contexte bien différent de l’époque. Rappel pour les plus jeunes : 5 octobre 1962, la majorité gaulliste souhaite protester contre le projet d’élection du président au suffrage universel direct (eh oui, il n’y a pas que la gauche qui s’engueule). Une motion de censure est adoptée à 280 voix sur les 480 députés. De Gaulle réplique et dissout l’Assemblée, reprend une majorité favorable à son projet de réforme, et tout redevient comme avant (ou presque).

Cette fois-ci, c’est différent. Et Macron apparaît plus isolé que jamais. Si bien que de nombreux appels à sa démission fleurissent ces derniers jours, aussi bien à gauche qu’à droite, et dans les médias. Si une démission paraît assez improbable, le fait qu’elle puisse paraître aux yeux d’autant de personnes comme la seule option politique possible pour le temps présent, c’est quelque chose.

Que retenir de ce moment ? La censure ne changera pas grand-chose en elle-même, et qui sait ce dont Emmanuel Macron est capable pour la suite. Les noms circulant pour succéder à Michel Barnier semblent toujours plus tirer vers la droite. C’est évident, c’était attendu.

Mais il faut voir plus loin que ça. Ce moment politique historique montre bien à quel point le projet macroniste est plus que jamais détesté et fragile. Et si l’adoption de la motion a résulté d’un vote commun entre la gauche, une partie de la droite, et l’extrême-droite, ce n’est pas par « alliance » mais au contraire : c’est le résultat d’une opposition frontale, une bataille politique. Deux camps qui s’opposent clairement. Et si l’extrême-droite paraît renforcée, la gauche est encore présente. Oui, la motion de censure n’aurait pas pu être adoptée sans les voix du RN, mais elle n’aurait pas pu être adoptée non plus sans les voix de la gauche.

Ce qu’il y a de plus clair dans ce moment-ci, c’est bien cette évidence. Nous sommes touché·es en plein cœur d’une crise politique qui arrive à son apogée. Ce sera nous, ou eux.

Et c’est là que le mouvement social a sa carte à jouer. Plusieurs journées de grèves et de manifestations sont annoncées partout en France hexagonale pour le mois de décembre. Dans les « territoires ultra-marins » (selon la formule consacrée), la colère s’exprime toujours malgré la répression féroce, en Martinique comme en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Ce 5 décembre, la fonction publique appelle à manifester, et d’autres secteurs pourraient bien s’y joindre. Car c’est bien par une pression populaire durable qu’un véritable projet de rupture pourra s’imposer, avec des revendications claires et établies démocratiquement, à partir du programme du Nouveau Front Populaire, pour le dépasser toujours plus sur sa gauche. Construire une solidarité efficace et effective avec des caisses de grève et des canaux d’informations, d’échanges, solides et quotidiens qui témoignent de la colère sociale et des possibilités de luttes. Des luttes politiques, syndicales, associatives, de quartier…

Obliger le pouvoir, quel qu’il soit, à plier face à cette colère, et montrer que l’alternative politique est possible et que nous sommes en capacité de la porter par nos propres mobilisations.

Enfin, il faut être en capacité de décentrer nos regards si l’on veut construire une riposte efficace qui puisse emmener l’ensemble de la société avec elle. Cette crise politique majeure que nous vivons en France s’inscrit bel et bien dans un contexte international teinté de guerres, de massacres, et d’exploitation : le génocide en Palestine, les massacres au Liban, en Ukraine… dans lesquels la France a aussi ses responsabilités.

Il nous faut pouvoir se saisir de tous les outils à notre disposition pour cela, et reconstruire ce que nous avons perdus, mais qui se recrée doucement partout : l’unité des classes populaires. Comptez sur l’Insurgée pour en témoigner 😉 (et pour que cela continue, n’hésitez pas à nous soutenir)

Et là, seulement, pourra véritablement s’incarner la rupture dont nous avons tant besoin pour répondre à la crise politique que nous vivons et envisager la suite.

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