Ils sont une quinzaine à avoir cessé de s’alimenter depuis plusieurs jours (entre une semaine et presque 1 mois) pour alerter sur la situation désastreuse à Gaza et en Cisjordanie : médécins ou simples citoyens, ils sont partis de Marseille fin mars pour aller jusqu’à Bruxelles, espérant cette fois-ci être enfin entendus, pour exiger de la France et de l’Europe qu’elles fassent respecter le droit international. Une conférence de presse était organisée à Lille le 23 avril dernier, avec quelques jeûneurs. A leurs côtés, 2 membres de l’Association Lille-Naplouse et de la Ligue des Droits des l’Homme témoignaient de leur dernier voyage à Tulkarem, en Cisjordanie.
Marc Leblanc, membre d’Amitié Lille-Naplouse (ALN) et de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) : « On était à Naplouse jusque samedi, pour une semaine. Nous sommes partis avec 4 militants d’ALN et 4 adhérents de la LDH. L’accueil est toujours aussi émouvant là bas avec fort peu d’étrangers qui viennent en ce moment. La situation très difficile est beaucoup plus tendu que celle qu’on a pu connaître lors de précedents voyages. A Tulkarem et Nour Chams, deux camps de refugiés au Nord, on savait que l’agression israélienne continuait. Israël a fait évacué la quasi totalité des habitants de ces camps et ont entrepris de les raser. 40 000 réfugiés se sont retrouvés chassés de ces camps. »
Dominique Plancke, membre d’ALN et de la LDH : « Ce qui est très marquant par rapport à notre dernier séjour il y a 2 ans, c’est l’emprise de l’armée et des colons autour des villes palestiniennes. On ne peut plus sortir de Naplouse sans passer par des checkpoints. Il y a une refermeture complète des points de passage. Les gens sont enfermés aujourd’hui à Naplouse. En tant que français nous avons réussi à sortir. Les palestiniens ne savent pas d’un jour à l’autre ce qui peut se passer. Ce qui nous a marqué, c’est l’agressivité de l’armée et des colons. Il y a une tension très forte, très grosse angoisse dans les camps de réfugiés. La fermeture des actions de l’UNRWA, ça fait 50 000 persones qui sont obligées de quitter leur camp. Aujourd’hui c’est l’UNRWA qui assure l’école, le ramassage des déchets, beaucoup dede services publics. La municipalité de Naplouse n’aura pas les moyens de faire face. Les médecins de MSF (Médecins Sans Frontières) nous font part de dégats très importants sur la santé mentale des familles et des enfants. Une aggravation de la santé mentale des habitants. Il y a une volonté d’Israël d’invisibliser ce qu’il se passe, d’empêcher les témoignages. Aujourd’hui, toutes les banques françaises refusent les virements pour la Palestine, on a des blocages complets de gens qui avaient des aides matérielles et qui se retrouvent étranglés. »
Il y a une volonté d’Israël d’invisibliser ce qu’il se passe.
Pascal André, infectiologue, parti en mission à Gaza en Fevrier 2024. En grève depuis 24 jours : « On a eu des rencontres avec beaucoup d’élus de la mairie. Monsieur le maire n’était pas là. On a fait part de la dynamique dans lequel on était. On a rappelé que le droit international impose aux représentants nationaux, communaux, régionaux d’appliquer des choses simples, par exemple : communiquer sur le fait que le commerce avec des entreprises qui travaillent en territoires occupés est interdit par le droit international. Informer les citoyens sur le fait qu’acheter des produits venant des territoires occupés est quelque chose tout à fait en dehors du droit international, une décision de la Cour Internationale de Justice de juillet 24 validé par l’assemblée générale de l’OONU en septembre. On les a invité à être courageux, On les a invité à oser de mettre le drapeau français, et le drapeau palestinien sur les frontons de la mairie, et pourquoi pas le drapeau israélien pour montrer que l’idée, c’est la concorde. On ne choisit pas une communauté, mais on est là pour appliquer le droit et l’éthique. On est persuadés que le vent tourne. On est partis, on était 8, et aujourd’hui on est 16, et ça commence à partir un peu partout dans le monde. Clairement, les citoyens ont faim, ont soif, de justice, et sont totalement ecoeurés par les politiques qui ont le devoir d’appliquer le droit, de sortir du silence et de l’hypocrisie. Les palestiniens rencontrés en 2023 et 2024 disent tous : « si nous mourrons, c’est à cause de votre silence et votre hypocrisie ». On n’attendra pas 10 ans. Jamais nous ne lâcherons les politiques qui ne font pas leur travail. Monsieur Macron est au courant de notre démarche, il ne répond pas. Les juifs qui ont vécu l’Holocauste, des juifs non-sionistes, qui reconnaissent dans le sioniste une approche qui dénature complètement la philosophie et l’éthique du judaïsme, disent qu’on est en train de laisser monter de nouveau quelque chose que Pierre Stambul ou d’autres décrivent avec une inquiétude majeure, ce qu’il s’est passé en 1939/1945, c’est-à-dire : la stigmatisation. Stigmatisation de 7 millions de musulmans en France aujourd’hui. Lorsque des représentants aujourd’hui en activité ont des propos qui ne respectent pas les valeurs de la République, il faut les poursuivre et dire stop à l’impunité. »
Les palestiniens rencontrés en 2023 et 2024 disent tous : « Si nous mourrons, c’est à cause de votre silence et votre hypocrisie ».
Amina Mansouri, retraitée du secteur médico-social, en grève de la faim depuis 24 jours : « C’est le début de quelque chose. Je suis une simple citoyenne, j’ai été sur les rassemblements depuis 18 mois à Millau avec de nombreux militants. Sauf qu’après avoir fait marches, rassemblements, et opérations de boycott, je suis arrivée à un moment où ça ne me suffisait plus. Je me sentais devenir violente. Cette action a apaisé ma violence, mais pas ma colère. J’ai honte de la France et de l’Europe, du silence qui continue à tuer depuis 18 mois. Sur nos 18 étapes, on a rencontré très peu d’élus. Seules 2 mairies nous ont ouvert leurs portes. Ceux qui ne nous ont pas reçu, on ne les oubliera pas. A Montpellier, au temple de la Margelle, la pasteure nous a reçu et a organisé une rencontre avec un imam du quartier, un prêtre catholique et un rabbin d’une synagogue libérale. Un échange très intéressant, d’autant que la pasteure voulait organiser cette rencontre depuis le 7 octobre [2023]. Ils ont décidé de continuer à se voir et de se soutenir. On a eu une rencontre de ce type à Clermont Ferrand, avec des cathos, des gens de la pensée libre, et des musulmans. Les musulmans aujourd’hui se sentent isolés, ciblés. Les imams n’ont pas le droit d’évoquer la situation au risque de voir fiché S. Ils reçoivent le soutien des autres croyants. J’ai 65 ans et je n’ai jamais vu une telle islamophobie. Le peuple palestinien est fort, résilient, mais aujourd’hui il vit avec un sentiment de mort imminente. En attaquant et en laissant mourir le peuple palestinien, c’est l’humanité qui est en train de disparaître. Nous, on choisit de ne plus manger, ce n’est pas le cas des palestiniens. »
En attaquant et en laissant mourir le peuple palestinien, c’est l’humanité qui est en train de disparaître. Nous, on choisit de ne plus manger, ce n’est pas le cas des palestiniens.
Thierry, ingénieur brestois, en grève de la faim depuis 7 jours : « Le dernier cessez-le-feu nous a apporté un soulagement, même si on savait que c’était partiel. Quand le cessez le feu a été rompu unilatéralement par Israël, le 2 mars dernier, l’aide humanitaire a été complétement bloquée à Gaza. A ce moment là, il fallait trouver une nouvelle dynamique. Je voudrais intervenir sur le droit international. Aujourd’hui, l’information est polarisée, politisée, et le droit constitue un repère, une boussole. Il permet, quand il n’est pas respecté, d’aller interpeller nos politiques. Je voudrais citer un premier fait juridique, en janvier 2024, concernant l’application de la convention sur prévention et la répression du crime de génocide : 3 ordonnances ont été rendues par la Cour Internationale de Justice, en janvier, mars, et mai 2024. Dans celle de janvier, le génocide a été énoncé comme plausible. En mai, le « risque réel et imminent de génocide » précisé. Il a été exigé d’Israël de prendre toute mesure pour acheminer l’aide humanitaire. Aujourd’hui, les spécialistes et simples citoyens peuvent constater que ces ordonnances ne sont pas respectées. Amnesty et Human Rights Watch (HRW) ont parlé de génocide. HRW a analysé très finement les entraves dans l’approvisionnement en eau. Nécessairement, quand des gens ne peuvent pas boire, le gouvernement israélien ne peut ignorer que ça va engendrer des milliers de morts. Nous sommes révoltés parce qu’il se passe à Gaza, mais aussi par l’inaction de nos gouvernements. Nous exigeons des actes. »
Nous sommes révoltés parce qu’il se passe à Gaza, mais aussi par l’inaction de nos gouvernements. Nous exigeons des actes.
Mustafa Cakici, militant bisontin, a rejoint le mouvement comme citoyen : « On voit que la situation ne s’améliore pas. Il y a un génocide en cours. On observe comment depuis 18 mois, on essaie de casser le silence. Cette action citoyenne est nécessaire pour aller au-delà de ce qu’on fait habituellement. Le silence est un peu partout, à tout niveau de la vie et de la société. Je suis musulman, et dans la communauté cultuelle en général, on porte des valeurs cultuelles humaines, universelles. Ce sont de belles paroles, mais il faut qu’on les applique. Hier, on était au Sénat pour dénoncer ce qu’il se passe à Gaza. Il y avait un beau tableau qui parlait des droits de l’Homme qui illustrait la salle, mais on a l’impression que ces droits ne sont pas applicables à tout le monde. Il faut aller de l’avant. Il faut maintenir notre dignité humaine. On est en train de vivre un moment de l’histoire où une civilisation est en train de disparaître sous nos yeux en direct. Il y a une volonté de faire disparaître la culture, le passé palestinien, pour dire : « ça y est, il n’y a plus de palestiniens, c’est fini. » »
Il faut aller de l’avant. Il faut maintenir notre dignité humaine. On est en train de vivre un moment de l’histoire où une civilisation est en train de disparaître sous nos yeux en direct.
Hervé Loichemol, metteur en scène et soutien du collectif. Il a commencé à travailler à Gaza en 2013 auprès de l’institut culturel français. A également travaillé à Jénine au Théâtre de la Liberté : « Nous assistons en ce moment à deux phénomènes à la fois différents et conjoints : un génocide à Gaza, et une annexion totale de la Cisjordanie en phase finale qui a commencé il y a très longtemps. Il ne faut pas se payer de mots, mais écouter les responsables politiques. Le gouvernement israélien n’appelle pas ça « West Bank » ou « Cisjordanie » mais Judée-Samarie. Nous sommes dans une situation très curieuse où le vocabulaire est tordu. On refuse de parler de génocide, alors qu’il se déroule sous nos yeux. Non seulement, il y a les preuves mais il y a les déclarations d’intention génocidaires de la part des gouvernants. Ce que je propose, c’est prendre au sérieux ces déclarations. Prendre au sérieux le projet trumpien de déporter les gazaouis. Et de prendre au sérieux les déclarations d’annexion de la totalité de la Palestine. Nous sommes, en France, complices, mais également l’Europe et les pays arabes, de la disparation des palestiniens, de leur déportation programmée. Il y a des dizaines d’années qu’Israël piétine le droit international dans le silence le plus absolu. C’est quand même une extravageance. Nos représentants ne nous représentent en rien, ce sont des malfrats qu’il faudra un jour traduire en justice. »
On refuse de parler de génocide, alors qu’il se déroule sous nos yeux. Nos représentants ne nous représentent en rien, ce sont des malfrats qu’il faudra un jour traduire en justice.
Mohamed Salem, médecin et secrétaire général de PalMed France, en soutien au collectif des jeûneurs : « La situation médicale à Gaza, et en Palestine en général, est plus que catastrophique. Les hôpitaux sont détruits, il y a des centaines de médecins qui sont morts, en particulier à Gaza, mais aussi en Cisjordanie où l’armée israélienne a attaqué l’hopital de Jénine et de Tulkarem. Je salue le courage des collègues médecins de retour de Gaza qui ont entamé une grève de la faim pour rendre justice au peuple palestinien et pour sauver des vies. On a tous les jours entre 50 à 100 morts à Gaza, la plupart sont des enfants et des femmes. »
La situation médicale à Gaza, et en Palestine en général, est plus que catastrophique.
Chems-Eddine Bouchakour, médecin-réanimateur, en mission à Gaza fin janvier 2024 « Ce qu’on voit sur les images montre que ça empire, et je pense que tout n’est pas montré. Cette action mérite le soutien et le respect, mais cette radicalité se comprend par rapport à l’ampleur de ce qui est en train de se passer. Je n’ai pas le courage de faire ce que font les jeûneurs, ce qu’ils font est louable et très touchant. »
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