«On commence avec une taffe, on finit avec un gramme dans la poche ».
A peine j’arrive à la fête de l’Humanité, j’entends ça. Je ne sais pas trop d’où ça vient, c’est pris à la volée. Je ne pense pas que ça puisse résumer seul la fête de l’Huma. Quoi que ça peut en faire partie, c’est un festival, après tout.
Mais ce n’était pas le plus important. Cela dit, c’est la première phrase que j’ai noté dans mon cahier. Va savoir pourquoi. Je venais d’arriver, j’avais mon gros sac à dos avec tout mon matériel dedans, ainsi que des livres que je ne lirai pas. Je le savais. J’emporte toujours au moins un livre avec moi même si je ne le lis pas, ça me porte chance. A ce moment, j’avais dans mon sac la « Poétique de l’espace » de Gaston Bachelard. C’était pas des plus à propos mais le titre sonnait bien avec ce que j’allais faire.
Levée aux aurores, puis le train, le bus, le RER, tout. C’est comme ça que ça se passe quand on habite en « province », au milieu des « territoires ». On marche beaucoup, aussi. A peine arrivée, je découvre tout. Il y a une file spéciale pour les accrédité-es et les journalistes. Je me suis sentie un peu privilégiée. Cela dit, la fête de l’Huma, quand on arrive le vendredi à midi, il n’y a pas grand monde. C’est plus tard que ça se corse. J’avais pris de l’avance.
Une fois dans l’enceinte de l’ancienne base où se déroule la fête, je cherche timidement le stand où retirer mon badge presse. Je demande à un camarade en charge de la sécurité du lieu, arborant un brassard orange indiquant « SECURITE / PCF ». Une fois arrivée sur place, je retire mon badge auprès des deux bénévoles sur le stand presse. Avec un peu d’excitation naïve, j’avoue. De voir sur un badge le nom d’un média que je venais de créer il y a seulement quelques semaines.
Toute la journée, j’allais devoir traîner mes affaires avec moi. Alors, j’ai pris mon temps. Et j’ai flâné, l’appareil photo accroché autour du cou, entre les allées provisoires du festival.
J’avais préparé un programme pour ce week-end, même si je savais que je n’allais pas le respecter. Le Vendredi après-midi, c’est encore assez calme à la fête de l’Huma, mais on y trouve des choses intéressantes.
Que faire de la sécurité sociale ?
« Le sujet est vaste. Pourquoi payer des salariés pendant qu’ils sont malades ? Avant, les gens mourraient au travail car ils ne voulaient pas s’arrêter pour ne pas manquer de revenus », rappelle Jean-Marie Angeli, secrétaire général de la CGT CPAM 13, lors du premier débat portant sur la sécurité sociale. « L’année prochaine, on va fêter les 80 ans de la sécurité sociale. Aujourd’hui, la situation est catastrophique. Depuis sa création, on a eu des adversaires de classes qui n’ont eu de cesse de vouloir casser le modèle. Depuis la réforme Juppé de 1990, on n’a eu de cesse d’avoir des attaques sur le financement, et ça continue petit à petit. »
Un constat difficile. Je sors. Et je passe près du Village des Territoires Solidaires. Le nom est intéressant. Je m’approche d’un premier stand cubain. Surtout un bar, en réalité. L’affiche m’intrigue, entre toutes les boissons, je lis qu’on y sert un « Breizh Cuba Libre ». La bretonne en moi s’interroge, et interroge le militant en face de moi qui me répond, sobrement : « c’est un Cuba Libre, avec du Breizh Cola au lieu du Coca normal ». Merci, mais j’ai arrêté de boire de l’alcool.
Poésie vive
Je continue ma flânerie, et au milieu de tous ces stands, je tombe nez à nez avec un homme qui distribue des grands tracts en format A4 à des passant-es. Ceux-ci ne ressemblent pas aux tracts militants habituels. J’ai lu en diagonale, de loin, les mots « Poésie vive ». Forcément, ça m’a intéressé. Il tractait sa poésie, alors, je lui ai demandé en quoi c’était important pour un poète d’être présent à la fête de l’Humanité.
En quoi c’est important pour un poète d’être à la fête de l’Humanité ?
Je m’appelle Fabrice Selingant, j’écris de la poésie. En effet, c’est un festival extraordinaire la fête de l’Huma. Des gens très très divers, avec un immense sourire, tous. Avec une joie de vivre, une joie d’échanger. Au delà des spectacles, au delà des restaus avec toutes les spécialités régionales, c’est un moment humain magique, magique. Ça existe nulle part ailleurs la fête de l’Huma. Ouais, voilà. Quand on l’a vécu une fois, on a envie d’y retourner une fois, dix fois, cent fois.
Ça fait combien de temps que t’y vas ?
Alors, la première fête de l’Huma c’était en 1976, j’avais 16 ans. Donc, faites le calcul je suis pas jeune mais j’en loupe rarement *rires*. Mes filles sont médecins toutes deux et me disent souvent “Papa, pas à la fête de l’Huma ? c’est pas possible.”
Les gens sont réceptifs à ta poésie ?
Ah oui, les gens apprécient, reviennent me voir, me disent “mais dis donc, ton texte il est un peu audacieux” ! Et c’est ça que j’aime. Ces gens qui reviennent, qui ont lu le texte, qui sont intéressés, qui veulent en savoir plus.
On échange, ensuite, beaucoup. Je pense qu’il était ravi de voir quelqu’un s’intéresser pour de vrai à son activité. Il me présente son stand, un petit espace octroyé par ses camarades de section du parti communiste. Une table, et des poèmes imprimés sur de larges feuilles un peu partout. Chaque poème avait sa propre histoire. Il me présente, enthousiaste, l’un de ses derniers, écrits alors qu’il suivait Fabien Roussel auprès des salarié-es en lutte de Duralex, près d’Orléans. Une bataille de plus pour sauver 228 emplois face au risque d’une liquidation judiciaire, avant l’été. Et à la fin, une victoire : une SCOP, et des carnets de commandes toujours bien remplis.
Et il continue à me raconter son histoire, je le laisse dérouler.
« J’ai été un des premiers contaminés par le Covid. J’ai fini dans le coma, en réanimation. Je devenais fou. On m’a filé de la kétamine. La kétamine, t’en prends un peu ça va, mais t’en prends trop, c’est un cauchemar. Sauf qu’habituellement, un cauchemar, quand tu t’en rends compte, tu te réveilles. Là, non. T’y restes. Ça a marqué à jamais ma poésie. »
On a fini par parler des jeunes auteurs et autrices de poésie, qui selon Fabrice « ratent leur coup » à se faire éditer chez des petites maisons d’éditions. « T’es cramé pour le reste de ta carrière si tu fais ça. Et puis regarde, Prévert, et tant d’autres, on connaît leurs poésies, mais ils tiraient à 2000, 3000 exemplaires, c’est tout. On connaît leurs poésies, mais on ne les lit pas. »
« Tu te rends compte ? Un étudiant sur 4 aujourd’hui écrit de la poésie, c’est génial ». Je n’ai pas pu vérifier ce chiffre, mais l’idée me semble salutaire.
Urgence Gaza
A quelques mètres de là, une toute autre ambiance qui ramène à la réalité. Pour nous rappeler le massacre en cours du peuple palestinien. Avec l’aide, la complicité, de nos propres gouvernements. Avec les armes de nos propres pays. Et trop peu semblent vouloir dénoncer ce qu’il se passe. Ne veulent pas, ou ne peuvent pas ? Sur la scène de l’Agora, en cette fin d’après-midi, Didier Fassin, anthropologue et sociologue français, présentait son dernier ouvrage, Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza, paru aux éditions La Découverte.
« Devant la difficulté pour moi et mes collègues de parler de ce sujet, il fallait que certains d’entre nous participions à la création d’une archive. Mon livre, c’est une tentative pour rassembler quelque chose qui pourrait nous permettre de comprendre ce qu’il s’est passé dans les 6 premiers mois [après octobre 2023, ndlr], avec un consentement à la fois passif (laisser faire, ne pas dénoncer, ne pas demander un cessez le feu) et en même temps un consentement actif consistant à aller soutenir sur le terrain un droit illimité d’Israël à se défendre. Il fallait montrer ce que ce consentement avait produit, mais aussi ce qu’il continue d’empêcher d’exprimer. Les médias les plus mainstreams peinent à dire ce qu’il se joue, alors que depuis la seconde guerre mondiale, nous n’avons pas vécu de moment aussi troublant qui laissera des traces aussi profondes dans notre histoire. »
Quelle signification dans le fait, pour les gouvernements et médias occidentaux, de vouloir tout faire débuter au 7 octobre ?
« J’essaie de rendre compte une analyse critique des différentes positions. Quand on lit et écoute ce qui est dit sur le 7 octobre, on observe 2 interprétations principales : une qui voit le 7 octobre comme un pogrom, un acte antisémite, un massacre de personnes juives, et une autre, qui considère qu’il s’agit d’un acte de résistance vis à vis d’une occupation, d’une humiliation, d’une violence. Le gouvernement français a déclaré que le 7 octobre était l’acte antisémite le plus grave depuis ces dernières décennies. C’est devenu l’interprétation officielle.
La seconde interprétation (parler de résistance) donne lieu à des dénonciations, des sanctions, des accusations d’antisémitisme. Qu’est-ce que ça change de nommer d’une manière ou d’une autre ? Quand on parle de “pogrom”, on annule tout ce qu’il s’est passé. Cette interprétation efface l’histoire, de ce qu’il s’est passé depuis 1948 voir 1917 avec la déclaration Balfour. Aujourd’hui, critiquer Israël, même dans des démocraties libérales, devient impossible. »
Qu’est-ce que ça signifie de parler de guerre Israël / Hamas ?
« Ce qui est recherché, c’est une légitimation de l’intervention. Une légitimité à intervenir contre le Hamas, sans en distinguer la branche militaire et la branche politique. Cela permet d’effacer leur mortalité. La douleur de la population civile est complètement effacée. Un membre du Hamas tué pour 300 personnes tuées, c’est un effacement des 300 personnes par le fait qu’on a tué quelqu’un du Hamas. »
Lucie Castets
D’un coup d’un seul, toute une foule de journalistes débarque à mes côtés. J’ai bien compris que ce n’était pas pour photographier Didier Fassin. Lucie Castets, la (toujours) candidate du Nouveau Front Populaire au poste de première ministre, rentre en scène. Je me faufile et tente de prendre quelques photos. Toute l’agora la salue chaleureusement.
« Bien sûr, après la nomination de Michel Barnier, y’a eu de la stupéfaction, de la colère et de la déception et un peu de sentiment de révolte, il me semble. Et je pense que c’est quelque chose qui a été très partagé dans la population. Pendant des semaines, on a entendu des noms. Pendant des semaines, on a montré qu’on était capable de gouverner, qu’on était préparé, qu’on avait travaillé, qu’on était prêts à bâtir des compromis, à bâtir des accords. Et en fait, tout ça a été balayé d’un revers de main et on [l’exécutif] s’est tourné vers le seul courant qui n’a pas fait le front républicain. »
Toute l’agora hurle soudainement aux journalistes de s’asseoir. Il faut dire que la surface est plane et l’agora surélevée limite les possibilités de vision de ce qu’il s’y passe dès lors qu’on s’en rapproche un peu trop. Alors, si des gens sont debout devant la scène …
Peu de confrères et consœurs se sont exécutées. Nous, journalistes, sommes une population plutôt indocile, pas toujours pour les bonnes raisons, peut-être.
« A cette élection-là, spécifiquement, les gens sont allés voter parce qu’ils ont compris l’enjeu immense, celui de pas laisser le Rassemblement National accéder au pouvoir. »
Et c’est peut-être ça la petite joie de la période. Si l’objectif était, pour la gauche, d’avoir la majorité absolue au parlement, on peut dire que la gauche a perdu cet objectif. Sauf que ce n’était pas l’objectif initial. Tout a été fait pour empêcher l’extrême-droite de prendre Matignon et la majorité parlementaire, et la gauche a rempli l’objectif. Que la gauche unie constitue le premier groupe à l’Assemblée Nationale est une autre victoire. Le fait que jusqu’ici, malgré les tensions internes (en particulier au Parti Socialiste), la coalition tienne. Une autre victoire. Qui n’est pas tant le résultat de simples directions politiques motivées, mais surtout d’une mobilisation populaire qui perdure.
Clairement insuffisante pour infliger une défaite à l’extrême-droite, très certainement. Mais c’est une ouverture, qui montre que quand la gauche se mobilise, elle n’est pas condamnée à l’échec. Contrairement à ce que tant d’éditocrates comme d’hommes politiques (jusqu’au PR lui-même) se plaisent à dire.
Et c’est plutôt motivant pour la suite. Malgré le « déni de démocratie » grave auquel on assiste, c’est un appel à continuer à se mettre en mouvement.
La journée se termine doucement et les voitures commencent à remplir les parkings par dizaines. C’est le début des concerts. Quant à moi, je cherche la sortie. J’ai deux heures de route de prévues jusqu’à mon lieu de sommeil et les concerts ne m’intéressent pas. Je veux garder mon énergie pour le week-end.
Mais fidèle à moi-même, je me trompe de chemin. Et peine à trouver des gens capables de m’indiquer la bonne route jusqu’au RER. Tout le monde s’étonne que je veuille rentrer maintenant. Que voulez-vous. Je continue malgré tout mon chemin en suivant mon adage favori : « si tu ne sais pas où c’est, c’est tout droit ».
L’adage n’a pas toujours raison. Voulant aller à Brétigny-sur-Orge, je me suis retrouvée à Bondoufles, sans bus, sans rien. Rien que des cloques aux pieds. Merci à l’ami qui est venu me chercher en voiture, je te revaudrai ça.
Samedi 14 septembre.
Une courte, mais bonne nuit de sommeil. Je retourne à Brétigny, mes cloques aux pieds me font toujours mal. Un vrai week-end de fête de l’Huma qui s’annonce. J’arrive au festival, tout juste le temps de me prendre un café et je file au village des médias indépendants. Nouvelle trouvaille de l’Humanité à la suite des rassemblements de médias sur la place de la République pendant les dernières législatives. Un très bel endroit. Difficile de résister à l’envie d’y passer ses journées pour discuter avec les collègues.
« Est-ce que le féminisme est un pré-requis pour nos enquêtes ? »
Première table ronde de la journée, aux côtés de Lenaïg Bredoux et Khedidja Zerouali (Mediapart), Marie Barbier (co-redcheffe à la Déferlante) et Christelle Murhula (journaliste indé, notamment pour la Déferlante)
Lenaïg Bredoux : « Pour nous, à Mediapart, c’est une question qui se pose quotidiennement, une priorité éditoriale. En général, par rapport à il y a 10 ans, l’intérêt pour ses enquêtes a beaucoup évolué. Récemment, nous avons eu l’affaire des viols de Mazan, l’affaire des témoignages d’agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre… »
Khedidja Zerouali : « Les violences n’ont pas de classe, de race… elles ont un genre, mais elles sont partout. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant le mis en cause, mais le système en lui-même qui permet ses violences. On ne se demande pas tant est-ce que tel ou tel chef a agressé au travail, mais plutôt on se pose la question de ce qu’en ont dit les délégués du personnel, les collègues etc. Les gens cherchent une forme de justice.
Par exemple, on a fait une enquête sur McDo, premier employeur de jeunes en France, on s’est rendus compte qu’il y a des violences sexistes et sexuelles de façon endémiques. On croit les victimes, et on cherche tout ce qui est possible de faire pour contextualiser, ce qui a été fait pour que ça change ou pas.
On a une petite spécificité à Mediapart qui peut nous poser problème. On est proche des syndicats, mais ce sont des lieux de pouvoir où il peut aussi y avoir des violences sexistes et sexuelles. Pourtant, on ne s’interdit pas d’en parler. Ça nous arrive qu’il y ait des backlashs [retour de bâton, ndlr], des sections qui ne nous parlent plus… »
Marie Barbier : « Notre revue, on l’a créé y’a 3 ans et demi. A l’époque, toutes les semaines il y avait un sujet qui émergeait sur les violences sexistes et sexuelles. On s’est dit qu’il fallait qu’il y ait un média exclusivement consacré à ça. Qu’on puisse avoir un point de vue transversal : comment tout raconter de A à Z ?
Notre premier sujet, c’était sur les violences entre mineurs. Un sujet très difficile. Mais ce qui nous a animé, c’était de savoir d’où on parlait. La personne qui écrit l’article, elle a elle-même été victime de ce genre de violences. Nous, ce qu’on pense, c’est qu’il est important de situer les regards. On peut raconter sa propre histoire en parallèle d’autres. Notre prochain enquête, ça sera sur les violences sexuelles et sexistes contre les personnes racisées dans le milieu de la culture. Quelles spécificités ? »
Christelle Murhula : « Les femmes racisées ont peur de parler car elles n’ont pas forcément envie d’incriminer des hommes déjà discriminés dans la société. Les discussions avec ces victimes sont d’autant plus difficiles. Les femmes racisées sont déjà minoritaires pour l’obtention des rôles, pour publier des livres etc … si elles prennent la parole, ça sera encore plus compliqué. Ça en dit long sur la situation médiatique dans laquelle on est : ces victimes-là n’existent pas. »
Khedidja Zerouali : « Nous, on a publié une enquête sur une agression à Montpellier sous prétexte d’un rituel islamique. Il y des violences sexistes et sexuelles dans la communauté musulmane, mais on ne va pas pour autant nier les discriminations racistes vécues par les agresseurs. Il y a des femmes qui témoignent mais qui nous disent « ok, on veut bien témoigner, mais on est sûres que ça va pas faire la Une des journaux réactionnaires ?
Du coup, on fait quoi ? On s’empêche d’écrire ces enquêtes ? Il faut le faire sans verser dans les biais racistes de l’écriture. »
Lénaïg Bredoux : « Selon Caroline Fourest, on choisirait les victimes selon si elles sont noires ou juives. Il y a 0 sources quand elle dit ça. A part dire « lisez-nous, vous verrez », on a rien à dire. #MeToo est très souvent instrumentalisé par des racistes, au contraire. Toute la litanie d’Eric Zemmour sur la lutte « contre les violences sexistes et sexuelles », c’est de stopper l’immigration. »
Angela Davis
Plus tard dans la journée. Encore à l’Agora. Avec la venue de l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, la conférence d’Angela Davis était l’événement de cette fête. Je n’ai pas pu y rester longtemps tellement l’agora était pleine à craquer. Mais j’ai pu prendre quelques notes, et quelques photos. J’ai vu Angela Davis. Ce n’est pas n’importe quelle rencontre, fusse-t-elle d’assez loin.
Elle venait en particulier défendre la cause de Mumia Abu Jamal, journaliste afro-américain incarcéré depuis quarante-trois ans aux États-Unis après avoir été condamné à mort en 1982 au terme d’un procès jugé inéquitable par la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Elle était aux côtés de Johanna Fernandez, la porte-parole de Mumia. Elle s’est d’abord dit ravie de ces « retrouvailles » avec des gens qui se sont battues pour sa libération il y a 50 ans. Accusée de meurtre dans le cadre d’une prise d’otage menée par des membres du Black Panther Party (dont elle était adhérente), sans qu’elle y soit impliquée, elle sera interpellée en 1970, puis jugée non coupable et libérée en 1972. Un comité international de libération s’était mobilisé pour sa cause.
«Mumia Abu Jamal n’a jamais cessé de lutter, même depuis le couloir de la mort, il est impliqué dans la lutte contre le capitalisme, contre le racisme, contre la misogynie, pour l’environnement… Mumia est un citoyen d’honneur de la ville de Paris. L’espoir est toujours une nécessité. Sans espoir, il n’y a pas de possibilité de victoire. Je suis reconnaissante éternellement envers les français qui se sont battus non seulement pour ma libération mais aussi celle de Georges Jackson ou des frères Soledad [dont elle était membre du comité de libération dans les années 70]. »
Avec toujours, en toile de fond, un message « d’espoir », comme elle le répète. Il y a encore tant de luttes à mener et la fête de l’Humanité permet d’en témoigner.
L’hymne de nos campagnes
Un peu plus tard, toujours dans un espace d’Agora plein à craquer, un autre débat, celui qui aura fait sûrement le plus jaser (en plus de l’entretien avec Dominique de Villepin), un débat sur comment défaire le RN, qui s’est transformé en joute oratoire pas trop mal ficelée entre deux des invités : Raphaël Arnault, et François Ruffin.
Les récentes positions de celui qui s’est officiellement démarqué de la France Insoumise ont évidemment fait réagir. Vu comme un « traître » par une grande partie du mouvement mélenchoniste, il a aussi (et, peut-être, surtout) choqué une grande partie de la gauche avec ses positions sur les stratégies à adopter pour ravir le vote rural, et sur ses aveux de « campagne au faciès » qu’il avoue avoir mené en 2022, selon lui, sur demande de la France Insoumise (qui a rejeté l’accusation en bloc, Ruffin étant, par ailleurs, incapable d’apporter des preuves de ce qu’il avançait).
Raphaël Arnault, député LFI, a bien évidemment débuté sa première prise de parole en critiquant François Ruffin sur sa stratégie. Un Raphaël Arnault fort applaudi, haranguant la foule comme il a bien l’habitude de le faire. François Ruffin de son côté, a été copieusement hué en assumant ses propos, affirmant qu’on « pouvait le huer ». Ces invectives populaires se sont cependant quelque peu estompées au fur et à mesure que Ruffin précisait sa pensée. Des applaudissements plus chaleureux en sa faveur ont pu même être entendus au cours du débat. Comme quoi, le débat est possible, malgré les aveux choquants du député picard. Cette séquence a ceci de positif qu’elle permet de remettre sur la table un débat important : comment reconquérir l’adhésion des ruralités populaires passées à l’extrême-droite ? François Ruffin, malgré ses partis-pris douteux, aura au moins obligé une grande partie de la classe politique de gauche, et a fortiori la France Insoumise, à prendre position sur le sujet.
Cette séquence a bien évidemment été commentée dans tous les sens sur Internet. François Ruffin est-il, ou non, un « camarade » ? François Ruffin a-t-il été hué par l’ensemble de la fête de l’Humanité ? Des vidéos aux commentaires trompeurs ont été partagés en ce sens sur les réseaux. J’ai eu l’occasion d’y revenir quelques lignes plus haut. Si le débat était évidemment tendu, la discussion a pu se faire. Et permet de nous rappeler qu’une fois sorti-es des réseaux sociaux, une discussion (même houleuse) est possible. Et que c’est ça aussi, débattre. C’est s’engueuler. Sauf que contrairement à Twitter/X, dans la vraie vie, on a davantage l’occasion d’en ressortir la tête haute. Espérons que ça puisse continuer ainsi.
En me baladant, j’ai pu rencontrer et discuter avec le collectif Vietnam Doxine, mobilisé contre les entreprises qui ont produit l’agent orange. 80 millions de litres de cet herbicide déversés par les américains contre la population vietnamienne de 1964 à 1973, faisant 4,8 millions de victimes jusqu’à aujourd’hui. J’en ai tiré un long échange intéressant qui paraîtra bientôt sur le site de l’Insurgée.
Conclusion
Le Dimanche était plus posé. Déjà bien fatiguée, comme la plupart des festivaliers et festivalières autour de moi, j’ai flâné toute la journée. J’ai un peu traîné au village « du monde », là où j’ai surpris une petite manifestation pour la Palestine la veille, soutenue par l’ensemble des stands aux alentours, ceux du Front Polisario (Sahara occidental) comme du Front Sandiniste de Libération Nationale (Nicaragua). L’anti-impéralisme exprimé sur un bout de festival.
J’y ai croisé des insurgé-es (salut à vous!), j’ai pu créer de l’échange. J’ai remis mes notes en place, aussi. Il y a beaucoup de choses que je voulais faire que je n’ai pas pu faire. Note à moi-même pour l’an prochain. En attendant, je rentre dans mon nord à moi courbaturée, fatiguée, mais avec plein d’idées en tête et satisfaite d’avoir pu être, un court instant, au cœur d’un espace artisanal où la politique populaire prend toute la place qu’elle mérite. A l’année prochaine !
Louise Bihan