Édito
Ces derniers mois ont été d’une étrangeté particulière. Les Jeux Olympiques ont illuminé la France pour mieux cacher ce que certains ne voulaient pas voir : les sans-abri, la pauvreté, et surtout, la défaite du macronisme. La dissolution surprise de l’assemblée nationale, à la suite d’élections européennes qui ont vu l’extrême-droite remporter la mise, ont causé une double angoisse, une stupeur, même. Angoisse à la fois dans cette victoire écrasante de l’extrême-droite au parlement européen, et dans cet acte irresponsable de dissolution, qui aurait pu amener au pire. Ce pire a été évité grâce à une intense mobilisation du peuple de gauche, qui a pu freiner l’avancée de l’extrême-droite sans la contraindre totalement : RN et apparentés obtiennent 146 députés, faisant du RN le premier parti à l’assemblée nationale (mais pas le premier groupe). Toujours cette angoisse au cœur, même s’il subsiste un peu de soulagement. Tout semble à reconstruire. Cependant, avec les Jeux Olympiques et la « trêve politique » imposée par le président de la République, puis avec des tractations qui n’en finissent pas d’ignorer la réalité des urnes (le macronisme a perdu), tout semble déraper. On pourrait voir ce moment comme une importante clarification politique : la dérive anti-démocratique du macronisme se pose là. Et elle est angoissante. Encore.
Mais on pourrait aussi décider d’en retenir autre chose : il est possible, dans ce pays, de faire reculer l’extrême-droite. En deux semaines, toute une partie de la population a réussi à se mettre en branle pour éviter le pire. Cette force-là doit nous permettre d’espérer le meilleur.
Partout en France, les gens se mobilisent, dans leurs boites, dans leurs assos, dans la rue. Remportent des victoires, ou se disent que ce n’est que partie remise.
Les prochaines semaines vont être décisives, tout semble s’accélérer à une vitesse absurde. L’enjeu est de taille. Et c’est là que votre infolettre (bientôt favorite !) intervient. Interroger la violence sociale, les mécanismes qui tentent de lui résister, et parfois, y arrivent.
Toutes les deux semaines, l’Insurgée vous propose d’investiguer le mouvement d’un pays qui ne se laisse pas faire, dans toute sa complexité. Directement dans vos boites mails. En espérant que ça vous plaise et que vous puissiez en faire bon usage. N’hésitez pas à me faire vos retours et à me soutenir financièrement, pour continuer ce travail. L’information est un sport de combat. 🙂
Évidemment, je ne pourrais finir cet édito sans avoir une pensée pour mes confrères et consœurs en Palestine. Plus de 160 journalistes ont été assassinés à Gaza, par l’armée israélienne, depuis le 7 octobre. Ils et elles sont l’honneur de la profession et ne doivent pas être oubliés.
Louise Bihan
Brèves en grèves
Retour sur un été de luttes sociales :
– A Marseille (Bouches-du-Rhône), les femmes de chambre de l’hôtel Radison Blu ont obtenu gain de cause auprès de leur sous-traitant Acqua, fin juillet, après 69 jours de mobilisation. Épaulées par la CNT-SO 13, elles ont obtenu la mise en place progressive d’un 13e mois, une hausse de la qualification et de leur salaire mensuel ainsi qu’une limitation de la « clause de mobilité » à 3 déplacements par mois dans d’autres établissements du secteur. Une belle victoire, donc, avec un bémol : les ex-grévistes ont été convoquées au commissariat au début du mois d’août pour des faits supposés de dégradation, à la suite d’une plainte de l’hôtel. Mais la CNT-SO reste confiante.
– A la Réunion, une quinzaine de chauffeurs du réseau de transports STOI sont en grève depuis le 19 août dernier. Accompagnés par la CGTR, ils réclament le paiement de toutes les heures travaillées, un 13e mois, mais également plus de sécurité pour les chauffeurs et les voyageurs des lignes Car jaune. La Région, qui recevait une délégation le 21 août, a indiqué dans un communiqué « qu’elle mobilisera tous les moyens dont elle dispose pour faire entendre ces attentes légitimes dans le cadre de la Délégation de Service Public du réseau Car Jaune actuellement en vigueur« . Affaire à suivre.
– A la Hague (Manche), un mouvement de grève inédit ralentit l’activité de l’usine de retraitement des combustibles nucléaire usés, gérée par l’entreprise Orano. Les grévistes dénoncent la dégradation de leur qualité de vie au travail : parkings saturés, rigidité des horaires qui provoquent des embouteillages, et difficultés de déplacement à la suite de la construction d’un mur censé protéger l’usine d’une éventuelle attaque terroriste. Selon Arnaud Lemaître, secrétaire du syndicat Sud Orano Recyclage, « entre 50 et 70 % des salariés du week-end étaient en grève ce week-end« , indiquait-il à Reporterre.
– A Port-Jérome-sur-Seine (Seine-Maritime), un plan de licenciement massif mobilise les salarié-es de la raffinerie d’ExxonMobil voisine du Havre depuis fin mai. Un « plan de sauvegarde de l’emploi » dans le langage managérial, pour « raisons économiques« , refusé par les syndicats qui multiplient les journées de grève. Officiellement déposé entre les mains des services de l’État le 20 août dernier, ce PSE prévoit la suppression de 647 emplois, via l’arrêt de la production de plastique. L’État a jusqu’au 17 septembre pour donner ses observations. Les premiers licenciements pourraient intervenir d’ici 2025. – A Lyon (Rhône), plusieurs journées de grève ont perturbé le secteur de transports TCL fin juillet, tandis que la métropole accueillait 11 épreuves de football pour les jeux olympiques. Les syndicats UNSA et Force Ouvrière réclament des compensations financières et de meilleures conditions de travail pour les agents du « PC Tramway », ainsi qu’une prime pour l’ensemble des agents « travaillant lors des JO ». FO dénonce le « silence radio » du côté de la direction, et annonce que le mouvement pourrait durer au-delà des Jeux.
– A Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), la mairie annonçait en septembre 2023 vouloir « libérer » les locaux de la bourse du travail, jugeant ces locaux « surdimensionnés » pour les syndicats, qui se mobilisent depuis cette date pour sauver leur maison commune. La date d’expulsion était fixée au 12 janvier 2024. Rassemblements, manifestations, pétitions et « veille permanente » sur les lieux, les syndicats ont multiplié les actions depuis des mois pour se faire entendre. Mobilisation qui semble porter ses fruits : saisie par la mairie pour faire cesser l’occupation des lieux, le tribunal de Bobigny a rejeté ce mardi 20 août la demande d’expulsion, s’estimant incompétent et rappelant « le caractère public de la bourse du travail« . La mobilisation continue cependant.
– Dans les bureaux de la CGT, ça commence à s’activer. Dans un entretien publié dans le canard local La Vie Ouvrière avant d’être supprimé, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet annonçait une mobilisation dans les semaines à venir. Elle déclare ainsi : « le pouvoir se déplace à l’Assemblée nationale, ça ouvre le jeu. Nous travaillons à une rentrée offensive sur l’abrogation de la réforme des retraites, les salaires, les services publics, la réindustrialisation, l’égalité entre les sexes, etc […] La CGT construira une mobilisation à la rentrée avec toutes celles et ceux qui souhaitent fin septembre début octobre« . Quelques jours plus tard, la date du 1er octobre était annoncée. Une rentrée sociale qui s’annonce riche en sujets de contestation.
– Du côté des syndicats enseignants, on prépare déjà la rentrée, même sans gouvernement : trois syndicats du premier degré (SNUIPP, CGT, SUD) appellent à une journée de mobilisation le 10 septembre prochain. En cause : les évaluations nationales, aujourd’hui réservées aux élèves de CP et de CE1, qui pourraient être étendues jusqu’au CM2 à la rentrée 2024. Les syndicats dénoncent l’impact négatif de ces tests sur la communauté éducative, et insistent sur le stress induit chez les enseignants, les élèves, mais aussi les parents.
Focus : Pourquoi la PJJ se mobilise ?
Depuis mi-août, les agents de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) se mobilisent contre un plan social « irresponsable et inacceptable ». Sur les quelques 9 118 emplois qui compose cette branche du ministère de la justice en charge du suivi des mineurs condamnés pour des faits de délinquance, 500 contrats pourraient ne pas être renouvelés à la rentrée 2024. Les éducateurs, qui accompagnent environ 130 000 jeunes chaque année, ont reçu l’information le 31 juillet par simple voie d’annonce. Une première mobilisation a eu lieu le 14 août. Une délégation intersyndicale a été reçue par la direction de la PJJ ce jour-là, mais les grévistes dénoncent une situation où, malgré le dégel de 3 millions d’euros annoncé par le garde des Sceaux pour conserver les contrats nécessaires, la direction de la PJJ reste sur ses positions et projette un non-renouvellement massif de postes.
L’intersyndicale (SNPES-PJJ/FSU, CGT-PJJ Justice, CFDT Interco Justice, Unsa-SPJJ) dénonce ainsi dans un communiqué du 22 août dernier : « Obstinée, renfermée sur ses dogmes budgétaires, corsetée par des gestionnaires déconnectés des besoins du service public, la direction de la PJJ n’a pas bougé d’un iota malgré le dégel budgétaire obtenu par l’intersyndicale auprès du cabinet du garde des Sceaux ainsi que la mobilisation du 14 août. Et pourtant, plusieurs services ont été à l’arrêt dans de nombreuses régions, avec l’ensemble des personnels en grève pour manifester leur solidarité envers leurs collègues et pour défendre leur outil de travail. De plus, ce plan social a également fait l’objet d’une intense couverture médiatique. Plusieurs élu.es, députés et sénateurs, voire des édiles municipaux, ont manifesté publiquement leur incompréhension et leur colère.«
Alors que le ministère de l’économie travaille depuis des mois à mettre en place des coupes budgétaires dans tous les secteurs publics (et le prochain gouvernement risque de ne pas y changer grand chose), les agents dénoncent une institution qui « assume de se plier au régime drastique imposé par Bercy, au détriment des missions de service public », et pointent du doigt la « surcharge de travail », la « dégradation des conditions d’exercice » et de la « qualité de l’accompagnement éducatif » que va induire ce plan social.Après une première mobilisation le 14 août, l’intersyndicale annonce une nouvelle journée de grève pour le 29 août. Elle exige que les moyens accordés par le ministère de la Justice soient « immédiatement alloués au renouvellement des contrats nécessaires et validés par les directions interrégionales avant le 31 juillet 2024« . Autrement dit, abandonner les suppressions de postes.
Focus : Un ouvrier chez Stellantis tente de s’immoler par le feu, l’usine bloquée.
Ils produisent à 80% pour Stellantis et à 20% pour Renault. Depuis fin avril, les ouvriers d’une usine de construction automobile dirigée par le sous-traitant MA France sont en grève contre la liquidation judiciaire de leur entreprise, « organisée et planifiée », selon eux, par le groupe CLN, propriétaire de MA France. Stellantis, qui sous-traite auprès de MA France, a récemment décidé la localisation de ses usines en Turquie, et s’est lancé de son côté dans ses propres suppressions de postes internes (2600 entre 2022 et 2023). Le géant automobile invoque des problèmes de « rentabilité » de son sous-traitant du fait du « contexte inflationniste ». Stellantis, c’est 189,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023 et 18,6 milliards de résultat net (bénéfice). L’entreprise avait défrayé la chronique en avril dernier, alors que ses actionnaires venaient de valider une hausse de salaire de 13 millions d’euros pour son directeur général Carlos Tavares, le rapportant ainsi à 36,5 millions d’euros pour l’année 2023. Le plus gros salaire du patronat français. Mais les bénéfices de l’entreprise-mère ne semble pas profiter à ses sous-traitants, encore moins à ses salariés. En avril, 3 usines de Stellantis s’étaient déjà mises en grève à la suite de la menace d’un dépôt de bilan : à Poissy (Yvelines), Hordain (Nord), Luton (Angleterre). Et depuis mai donc, l’usine d’Aulnay-Sous-Bois, gérée par MA France, a cessé le travail. 280 salariés et 120 intérimaires sont concernés par la liquidation judiciaire. Les grévistes réclament des primes de départ de 70 000 euros, bien plus importantes que celles proposées par leur employeur (15 000 euros, acceptés par 86 salariés sur les 280). Ils réclament aussi un reclassement décent.
Des revendications qui peinent à être entendues et qui ont poussé les salariés d’Aulnay-sous-Bois à occuper leur usine, et l’un d’entre eux s’est risqué à l’irréparable. Lundi 12 août, un salarié de l’usine a tenté de s’immoler par le feu, tandis que les représentants du groupe CLN se rendaient dans l’usine pour y « répertorier et saisir du matériel ». Fort heureusement, ses collègues sont arrivés à temps et se sont précipités pour lui retirer ses vêtements imbibés d’essence. Selon Zohra Abdallah, représentant de l’union locale CGT de Sevran venue en soutien au mouvement, des problèmes financiers seraient à l’origine de son « geste désespéré ». Le mouvement compte plus que jamais se poursuivre. Les grévistes occupant l’usine espèrent que tout le matériel stocké dans les locaux occupés pourra servir de moyen de pression. « Rien ne doit sortir tant qu’on n’aura pas obtenu satisfaction« , expliquait Adel Zorgui, délégué CGT de l’entreprise, dans les colonnes de France Bleu Paris.
Focus : Les hôpitaux craquent … encore.
Une petite musique qui sonne comme un mauvais tube de l’été. Le ministère de la santé annonçait le mardi 20 août à Ouest-France « qu’une cinquantaine d’hôpitaux » sont « actuellement en tension » par manque de personnel. Concrètement, ça signifie : un accueil dégradé, des conditions de travail plus difficiles pour les soignant-es et, dans certains départements et régions (comme en Saône-et-Loire, ou en Franche-Comté), un appel au 15 préalable avant tout passage aux urgences, pour réguler les passages. Saint-Brieuc, Châtellerault, Ham, Aix-en-Provence, au Havre… les mouvements de grève se sont multipliés cet été pour dénoncer les logiques comptables à l’œuvre dans les hôpitaux publics, entre les pénuries de soignants et les fermetures de lits.
Selon les chiffres de la DREES, tous services confondus en hospitalisation complète, le nombre de lits disponibles est passé de 468 418 en 2003 à 374 290 en 2022, soit un total de 94 128 lits supprimés en 20 ans. Cela concerne 25 054 lits entre 2017 et 2022. La situation critique du fait de la crise du Covid, et ses successions de plans blancs, ne semblent pas y avoir changé grand chose, ni les quelques revalorisations salariales à la suite du Ségur de la santé, ni la suppression du numerus closus (même s’il est encore trop tôt pour en identifier concrétement les effets). En 2019, 1000 chefs de services hospitaliers annonçaient leur démission dans les colonnes de Libération pour protester contre « la situation de crise que vivait le monde hospitalier« . Rebelote en 2021, où plusieurs centaines de chefs de service ont décidé de réitérer la menace. Depuis ? La situation n’a pas beaucoup évolué, malgré quelques effets d’annonce. Fin Juin, la CGT Santé Action Sociale publiait une carte interactive recensant les fermetures de lits et services d’urgences menacés. Le résultat donne à voir une crise généralisée de l’hôpital public qui peine à s’arranger.
L’agenda insurgé
– 2 septembre, à 16h, place de la République à Lille : Rassemblement en soutien à la délégation du CSP reçue par la préfecture.
– 5 septembre : Rassemblement contre la répression syndicale à l’appel de Sud Rail. 9 heures, devant le siège de l’EIC HDF, pas loin de la gare Lille Flandres.
– 6 septembre à 18h30 : Assemblée populaire dans les locaux du Cirque, 139 rue des Postes.
– 7 septembre : mobilisation dans toute la France à l’appel des orgas de jeunesse. A Lille : RDV à 18h30, Place de la République.
– 26 septembre, à 19h, au Tire-Laine (50 rue de Thumesnil à Lille): Soirée « Camanette », échanges et discussions autour de la situation sociale.
– 1er octobre : Appel intersyndical, informations à suivre.
Des dates de luttes locales à transmettre pour le prochain numéro ? Envoyez-les à pro@louisebihan.com !
Un peu de poésie
[…]
Il a son nom sur la tour, il a des colonels sous ses ordres,
Des colonels gratte-papier, garde-chiourme, espions,
Les journalistes mangent dans sa main,
Le préfet de police rampe sous son paillasson.Citrons, citrons…
Bénéfices nets,
Millions, millions…Et si le chiffre d’affaires vient à baisser,
pour que, malgré tout, les bénéfices ne diminuent pas,
il suffit d’augmenter la cadence et de baisser les salaires.
Baisser les salaires !Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches,
Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup
Pour mordre, pour se défendre… pour attaquer :
Faire la grève.
La grève, la grève…
Vive la grève ! »
Extrait de « Citroën », Jacques Prévert, 1933
Annonce
L’Insurgée sera en direct de la fête de l’Humanité ! RDV mi-Septembre !
Louise Bihan