Mathieu Burgalassi : « Le survivalisme est une catastrophe »

Anthropologue spécialisé sur l’extrême-droite, Mathieu Burgalassi est également journaliste, actif sur les réseaux, notamment sur Instagram et Twitch. Afin de mieux comprendre les comportements sociologiques de ses proches, en particulier sa grand-mère qui votait pour l’extrême-droite, Mathieu Burgalassi se tourne vers les sujets politiques et adopte un discours critique et documenté pour comprendre et faire comprendre les enjeux sociaux, politiques et culturels de notre société.  Il était, ce mardi, notre Insurgé du jour sur Twitch !

Il découvre alors les constructions du racisme et des systèmes de domination qu’il étudie plus longuement dans le cadre d’un master puis d’un doctorat, et tente, par le biais de ses différentes recherches, de répondre à une question fondamentale : comment certaines personnes en arrivent à commettre des meurtres racistes

De ses longues recherches naît « La peur et la haine, enquête chez les survivalistes » (éd. Michel Lafon, 2021), un ouvrage dans lequel Mathieu Burgalassi raconte comment, après une agression très violente qui le traumatise profondément, il se retrouve lui-même séduit par le survivalisme lors d’un cours de krav-maga (une pratique d’autodéfense issue des entraînements militaires basée sur des combats en corps à corps), avant de se rendre compte du danger que cette idéologie représente.

Mathieu nous explique en quoi les discours sécuritaires et racistes représentent un terreau fertile à ce mouvement idéologique. Au delà du souhait d’être autonome, de stocker des ressources matérielles et alimentaires en cas de potentiel effondrement de l’État, le survivalisme prône la défense par la violence, notamment pendant des stages de survie durant lesquels les participant.e.s “s’entraînent à tuer des gens”, sous couvert d’anticipation ou de prévoyance. Dans ce futur fantasmé de guerre civile, les survivalistes croient en la nécessité de se défendre par les armes et dédient l’essentiel de leurs entraînements à la survie par tous les moyens, y compris par le meurtre.  

Comment les discours sécuritaires de l’extrême droite alimentent les idéologies survivalistes ?

Pour Mathieu Burgalassi, la popularisation des discours d’extrême-droite depuis plusieurs années apportent une légitimité aux croyances survivalistes. Par ailleurs, l’action de convaincre entretient la croyance elle-même par un biais de confirmation. D’un point de vue cognitif, l’esprit est rassuré de partager son opinion avec des semblables: « puisque nous sommes nombreux à penser que nous sommes en danger, alors j’ai raison de le croire ».

La peur d’un effondrement est universelle : la pensée survivaliste touche en majorité les classes moyennes comme aisées, mais s’infiltre dans un spectre très large d’individus qui craignent la perte rapide de privilèges (perte d’emploi, maladie…).

« Le survivalisme joue sur l’individualisme et sur l’isolement social des gens dans un système néolibéral« .

Le système de représentation des survivalistes s’adapte aux exigences de l’extrême-droite qui veut faire croire que nous vivons dans une société de plus en plus dangereuse, un discours alimenté par les médias traditionnels. En effet, les faits divers médiatisés sont ceux qui répondent à des stéréotypes racistes et xénophobes, entretenant par là les sentiments de peur et les discours sécuritaires portés par l’extrême-droite.

Notons que la différence fondamentale entre le complotisme et le survivalisme, c’est l’adhérence à un discours public utilisé par les politiques et les médias mainstream. Mathieu Burgalassi donne ainsi l’exemple du climato-scepticisme, quand la réalité du changement climatique est devenu acquise pour la plupart. Pour faire simple, les propos climato-sceptiques sont rarement pris au sérieux, contrairement aux discours racistes qui, eux, obtiennent facilement l’adhésion du public.

Pourquoi les politiques ne s’emparent-ils pas du sujet malgré le danger que représente le mouvement survivaliste ? 

Le manque de compréhension de ce sujet s’explique en partie par le fait que la violence issue de ce mouvement ne s’effectue pas sur les dominants mais sur des personnes marginalisées, voire précaires. Elle n’est donc pas prise au sérieux par les politiques, malgré le danger qu’elle représente : en 2023, un jeune homme meurt lors d’un stage de survie, mais il n’y aura aucune législation par la suite.

« La violence des survivalistes n’est pas perçue comme dangereuse parce qu’elle ne s’exerce pas sur les dominants.« 

Cette violence n’inquiète pas les politiques car elle est pratiquée par les dominants. Même si ces comportements entraînent des attentats meurtriers chaque année, le mouvement survivaliste reste pour les pouvoirs publics un fait lointain, vague, voire reste “un folklore des classes populaires qui visent les classes dominantes” qui n’intéresse pas véritablement « la gauche privilégiée« , au même titre que d’autres forment d’oppressions (racistes, par exemple).

Comment agir ? 

Il faut détruire les discours de l’extrême-droite, les discours sécuritaires et racistes, chaque fois que c’est possible :

« On doit les rendre aussi ridicules que les climato-sceptiques pour espérer que l’adhésion du RN ne soit plus aussi naturelle qu’elle ne l’est aujourd’hui.« 

Il nous rappelle aussi la responsabilité des représentants de gauche qui n’ont pas su s’emparer du sujet des attentats racistes pour déconstruire les discours d’extrême droite auprès du grand public. Il est primordial d’agir sur l’imaginaire collectif en faisant de la montée du terrorisme d’extrême droite en France une actualité politique.

Son livre, « La peur et la haine : enquête chez les survivalistes » est toujours disponible aux éditions Michel Lafon.

Studio_Dodue

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