Ils tiennent à s’exprimer via une parole collective. Pas de noms, pas de visages, mais une force commune contre le sans-abrisme et pour la convergence des luttes.
Vendredi dernier, un collectif citoyen s’est installé au cœur de la caserne militaire des Beaumont, à Tours, laissée à l’abandon depuis plusieurs années. L’objectif ? La création d’une « maison internationale populaire ». « L’hébergement d’urgence, c’est reconnu collectivement comme la base » du projet, nous dit au téléphone l’un des militants que nous avons interrogé. Dès 6 heures du matin, le collectif a pris ses marques au sein des anciennes chambres de cette caserne pour recréer un projet commun autour de « 4 axes : hébergement, alimentation, soins, éducation ».

Dans le digne héritage de l’éphémère « maison du peuple » qui a ouvert à Tours en 2019 pendant le mouvement des Gilets Jaunes, leur volonté est de construire un véritable lieu d’organisation collective et de solidarité, un lieu de « convergences » – le mot revient souvent dans les échanges que nous avons eu avec les militants que nous avons interrogé – face à « l’inaction des institutions au sujet du sans-abrisme » alors que la trêve hivernale s’est clôturée il y a 3 semaines.
« C’est bien une initiative citoyenne », insiste un militant. « Il y a des associations qui sont venues en soutien logistique et moral, comme Utopia 56, le collectif Pas d’enfants à la rue, Collectif chrétien migrants etc. mais ça vient vraiment d’une démarche citoyenne. »
« Il faut que Tours s’empare du projet »
Le collectif assure que le projet est globalement bien accueilli dans la sphère militante tourangelle, même si à ce stade, il faut encore se faire connaître et construire un projet commun. Une chose est sûre : plus qu’un simple « squat », l’idée est d’en faire un véritable lieu de quartier, autogéré, et ouvert sur la ville. « Il faut que Tours s’en empare », nous dit un membre du collectif. « On est arrivé·es au constat que la stratégie des associations du rapport de force à court terme pour débloquer des places hébergements fonctionne, mais nous on veut porter des trucs plus ambitieux, avec un lieu qui dépasse la simple question de l’hébergement des gens. C’est dans ce contexte qu’on a construit cette proposition. On a un soutien de la part des associations, mais forcément ça dépasse leur mode d’action. On a construit ensemble entre individus, avec des citoyens qui prennent le lieu, et les associations qui s’y joignent. »

Mais avant de pouvoir s’en emparer, encore faut-il pouvoir tenir. Et si les jours à venir sont incertains, le collectif est plutôt confiant. « La mairie est super emballée parce qu’on fait ce qu’ils veulent faire depuis des années », assument ses membres. La ville, dirigée par l’écologiste Emmanuel Denis depuis 2020, n’a pour l’instant pas prévu d’appeler la police, selon les militant·es. « De ce qu’on sait, la mairie a dit qu’elle allait prendre le temps de réfléchir. Ils ont demandé à ce qu’il n’y ait pas d’intervention policière pour nous déloger, ils veulent nous laisser tranquille pour le moment. La police municipale est déjà passée 2 fois mais juste pour dire bonjour. »
Avec la mairie, le collectif se dit prêt à négocier une « convention d’occupation précaire », ce qui leur permettrait de pérenniser leur projet de manière légale en contrepartie d’une faible participation financière. « Pour l’instant, on est dans le légalisme, on essaie de négocier la convention d’occupation. Après, on reste dans le flou, parce qu’on veut construire avec les habitant·es. C’est une démarche politique ». Le collectif assure « vouloir rester ici plusieurs années » et espère avoir une réponse de la mairie d’ici mardi soir.
« Les prochains jours, l’enjeu ça va être de faire venir du monde. »
En attendant, les militant·es ont prévu de quoi tenir l’occupation au moins quelques jours. « On a des cantines qui ont prévu de quoi nourrir 400 personnes. On a une salle de jeux pour enfants, un dortoir bénévole à côté, il y a un freeshop [« magasin » militant où tous les produits sont gratuits, ndlr] et on a une programmation de concerts jusqu’à mercredi. Les prochains jours, l’enjeu ça va être de faire venir du monde. »

« Si ça ne marche pas, on a un plan B »
Car malgré les 8 hectares de terrain sur la caserne, les espaces d’hébergement sont limités, et les besoins sont grands. Tours concentre de nombreuses femmes seules ou avec enfants à la rue, ainsi que plusieurs groupes de mineurs non accompagnés (MNA). Alors que la fin de la trêve hivernale approchait, Utopia 56, qui accompagne ces MNA affirmait que 72 jeunes étaient accompagné·es par leur équipe. La semaine dernière, le collectif Pas d’enfant à la rue dénonçait la « fermeture d’un grand nombre de places d’hébergement d’urgence, remettant à la rue une centaine de personnes dont des familles avec enfants et femmes seules » le 1er avril dernier par le préfet d’Indre-et-Loire. L’enjeu est donc de taille pour le collectif à l’origine de la Maison Internationale Populaire. Contacté lundi soir, l’un de ses membres nous confirmait déjà que la « maison » affichait « complet ».
Des besoins certains qui nécessitent un engagement sans faille, que le collectif revendique : « On sait parfaitement ce qu’on fait et où on va ». Ses membres tiennent également à en signaler l’importance de la démarche politique : « Le droit au logement en Indre-et-Loire est historiquement lié aux anarchistes. L’autonomie, ça peut faire peur, mais nous on parle d’éducation populaire, on construit ensemble. Dès le premier jour, on avait des tracts du collectif Pas d’enfants à la rue pour rencontrer des gens du quartier et se présenter. »
Conscient des difficultés, le collectif admet « qu’un projet d’écoquartier ultra bobo est prévu sur la grande friche tout autour, mais c’est pour dans plusieurs années ». Ses membres admettent que « ce projet, ça peut être un frein ». Pour autant cela ne remettra pas en question, pour eux et elles, le sérieux de leur démarche. Dans l’attente d’une réponse de la mairie concernant la convention d’occupation, le collectif assure : « si ça ne marche pas, on a un plan B, on est déterminé·es ».
En France, selon la fondation pour le logement des défavorisé·es, 24 000 ménages (environ 50 000 personnes) ont été expulsés de leur logement en 2024, contre 19 000 ménages en 2023. Toujours selon la fondation, le nombre de personnes sans domicile fixe (en hébergement ou à la rue) en France s’élève à 350 000. Elles étaient 330 000 l’an dernier.
Le collectif n’a pas encore de comptes propres sur les réseaux sociaux. En attendant, pour être tenu·es au courant, consultez le compte Instagram d’Action Féministe Tours.
Photo de couverture : znowx. Pour retrouver son travail, rendez-vous sur son site ou son compte Instagram. Merci à lui pour nous avoir gentilment transmis quelques unes de ses belles photographies.