Paris. Rassemblement en soutien à Anasse Kazib.

« On aurait voulu faire de ce procès celui du génocide ». Le procès pour « apologie du terrorisme » d’Anasse Kazib reporté à juin 2026.

Ce mercredi 18 juin, le porte-parole de Révolution Permanente devait être jugé devant le tribunal de Paris pour « apologie du terrorisme ». Le procès a été reporté, mais 2000 personnes se sont rassemblées en soutien.

«Je suis quand même dégoûté, on en avait envie d’en découdre » lâche-t-il avec force. Le cheminot Anasse Kazib, syndicaliste à Sud-Rail et porte-parole de l’organisation d’extrême-gauche Révolution Permanente, devait être jugé ce mercredi au tribunal de Paris pour « apologie du terrorisme » aux côtés d’un autre militant de l’organisation, resté anonyme. Il leur est en effet reproché d’avoir publié des tweets le 7 octobre 2023 en « soutien à la résistance palestinienne », au moment des attaques du Hamas sur le territoire israélien. Mais si le prévenu et ses avocates espéraient faire de ce procès une démonstration de force contre la « répression » du mouvement de solidarité avec la Palestine, le tribunal en a décidé autrement. Prétextant un manque de temps pour pouvoir organiser au mieux l’audience au regard des pièces rapportées au dossier, le tribunal a annoncé renvoyer le procès au 26 juin 2026. Dans un an, donc.

Anasse Kazib, cheminot, syndicaliste, et porte-parole de Révolution Permanente, devant le tribunal de Paris. PHOTO : Louise Bihan.

« On voulait vraiment montrer en quoi le délit d’apologie du terrorisme est une arme de destruction massive contre la liberté d’expression. Ça, on comptait pas le faire en une heure et demie », assure Me Elsa Marcel, une des 4 avocates d’Anasse Kazib et du 2e militant convoqué ce jour. Malgré le report du procès, le rassemblement prévu à midi devant le tribunal s’est tenu. Près de 2000 personnes y ont assisté, selon Révolution Permanente, malgré les fortes chaleurs. Pierre Stambul, coprésident de l’Union Juive Française pour la paix, y a notamment pris la parole, dénonçant une « justice d’abattage ». « On est dans une période où l’on ne peut ignorer l’étendue du génocide à Gaza. Nous recevons des images quotidiennes de nos correspondants sur place. Pour moi, juif, fils de déporté, ça ressemble aux images de mon enfance, de ce que les alliés ont découvert dans les camps de concentration », affirme le militant dans un moment d’émotion. Car, dans la bande de Gaza, les massacres continuent et les bilans macabres se succèdent : 50 personnes tuées par l’armée israélienne près d’un centre de distribution à Khan Younès le 17 juin dernier, 41 morts dans des bombardements israéliens le 14 juin, 29 personnes tuées le 12 juin, dont la plupart ont été tuées alors qu’elles attendaient des distributions d’aide alimentaire. Il est impossible de signaler chaque massacre tant ils se multiplient tous les jours. L’armée israélienne continue, elle, d’utiliser l’aide alimentaire comme arme de guerre, limitant son arrivée dans l’enclave. L’armée a, à de plusieurs reprises, tiré dans les foules, prétextant des « menaces pour les troupes », au prix de nombreuses vies. L’armée accuse également le Hamas « d’empêcher les distributions d’aide ». Un mensonge, pour le journaliste palestinien Rami Abou Jamous que nous avons interviewé sur Twitch mardi. Selon lui, le Hamas n’aurait aucun intérêt à empêcher ces distributions d’aide.

Le procès qui aurait dû se tenir et le rassemblement qui, lui, s’en est bien suivi, témoigne de la nécessité de braquer sans cesse les projecteurs sur la situation à Gaza, le génocide et la « politique d’apartheid qui fait des palestiniens des réfugiés à vie dans leur propre pays » selon Nathalie Arthaud, porte-parole de Lutte Ouvrière. « Depuis des décennies, les dirigeants impérialistes mènent leurs exactions au nom de la prétendue guerre contre le terrorisme. Mais s’il s’agissait vraiment de combattre le terrorisme, c’est l’État d’Israël et les puissances impérialistes qui devraient être traînées en justice », affirme-t-elle.

Paris. Rassemblement en soutien à Anasse Kazib. PHOTO : Louise Bihan.

Cet impérialisme, justement, que la France cherche à tout prix à « cacher » pour Eric Coquerel, député LFI de la 1ere circonscription de Seine-Saint-Denis et président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, présent ce mercredi aux côtés d’autres députés LFI. « Je suis venu apporter tout mon soutien aux 2 camarades, mais aussi aux centaines de personnes traînées devant les tribunaux pour apologie du terrorisme ». Depuis le 7 octobre 2023, les plaintes pour « apologie du terrorisme » ont explosées. En novembre 2024, le Nouvel Obs faisait part de plus de 600 poursuites pour ce délit. Si ces poursuites n’aboutissent pas toujours sur des condamnations, certaines, si. C’est le cas, notamment, pour le syndicaliste Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’UD CGT du Nord, qui a été condamné en avril 2024 à 12 mois de prison avec sursis sur ce motif. Il a depuis fait appel, et n’a toujours pas de nouvelles concernant un éventuel nouveau procès. En octobre 2024, l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic (qui a soutenu la réforme du délit d’apologie du terrorisme en 2014) dénonçait en octobre 2024 un « usage totalement dévoyé de la loi ». « Dans le génocide en cours à Gaza, dans la colonisation en Cisjordanie, dans le fait de s’attaquer aux pays de la région, ce n’est pas la sécurité d’Israël qui est en jeu mais la fin du peuple palestinien », reprend Eric Coquerel.

Eric Coquerel et plusieurs députés LFI présents au rassemblement en soutien à Anasse Kazib. PHOTO : Louise Bihan.

Ce procès, qui aurait dû se tenir ce mercredi, intervient alors que l’actualité liée au génocide en cours est chargée : en France, avec la dissolution de l’organisation antifasciste Jeune Garde en France et menaces qui pèsent sur le collectif Urgence Palestine, et plus globalement les récents bombardements israéliens en Iran qui font craindre une aggravation du climat guerrier dans la région et dans le monde. Donald Trump semble être intéressé de très près à ce qu’Israël maintienne son offensive sur le sol iranien. Il y a quelques jours, lui-même a laissé planer la menace d’un éventuel engagement militaire des États-Unis en Iran, faisant craindre le risque d’une guerre généralisée qui pourrait occulter la situation à Gaza et en Cisjordanie.

Mais face à ces actualités tragiques (car, au-delà des petits jeux stratégiques entre puissances militaires, ce sont les civils qui, partout, en paient les conséquences), le rassemblement de ce mercredi pouvait donner un peu d’espoir à toutes celles et ceux présent⸱es devant le tribunal. Car cette succession de prises de paroles a montré que face à la violence, face à la guerre, face à la répression que subissent les soutiens au peuple palestinien, une union politique, militante, large, est possible. Une union politique qui veut se donner l’ambition de « faire plier » les gouvernements du monde pour qu’ils mettent fin au génocide en cours. Qu’ils ne ferment pas les yeux. Il y avait ce mercredi le sentiment que « faire front » est la seule perspective possible face aux temps sombres. « Il est temps de prendre notre courage à deux mains et, au-delà des désaccords, faire cause commune. Dire à l’appareil d’État, si vous touchez à l’un ou l’une d’entre nous, vous nous aurez tous sur le dos, ensemble », affirme Olivier Besancenot, porte-parole du NPA-Anticapitaliste, également présent au rassemblement. « Puisque les États ne le font pas, c’est à nous de le faire ».

Olivier Besancenot présent au rassemblement en soutien à Anasse Kazib. PHOTO : Louise Bihan.

Le rassemblement était aussi l’occasion de rappeler le sort du militant communiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, dont le nom était sur la plupart des pancartes. Aujourd’hui âgé de 74 ans, enfermé en France depuis 1984 et libérable depuis 1999, il a été condamné en 1987 à la réclusion à perpétuité pour complicité d’assassinats de diplomates américain et israélien et est depuis enfermé à la prison de Lannemezan (Hautes-Pyrénnées). Sa culpabilité est cependant contestée face aux fragilités du procès et aux pressions politiques qui l’ont entouré, le rôle des services secrets américains, et la « trahison » de son avocat Jean-Paul Mazurier qui avait reconnu en 1987 avoir pris contact avec les services secrets français et qui a été radié du barreau la même année. Georges Ibrahim Abdallah est ainsi devenu un symbole de la lutte pour la libération du peuple palestinien et devrait être bientôt libérable. Ce jeudi, la justice française se penche sur la nouvelle demande de libération du militant libanais, alors que la cour d’appel de Paris s’était dit « favorable » à son extradition, sous conditions, vers le Liban. Ce que le Parquet National Anti-Terroriste a contesté dans la foulée.

Paris. Rassemblement en soutien à Anasse Kazib. PHOTO : Louise Bihan.

D’autres prises de paroles politiques et syndicales se sont succédé tout ce début d’après-midi (NPA-Révolutionnaires, Raphaël Arnault, Urgence Palestine, Sud Rail – syndicat d’Anasse Kazib -, Assa Traoré, CGT Cheminots Paris Nord, CGT Géodis, Comité des Sans-Papiers de Paris…), faisant ainsi de ce rassemblement un coup de force politique mais aussi un avertissement. « On appartient à une classe révolutionnaire, de gens qui ont été tués, enfermés, violés, par l’État impérialiste. Mais ils se sont toujours battus face à la répression. Nous, on a pas le droit de lâcher », promet Anasse Kazib. « Face aux médias et aux institutions bourgeoises qui essaient de nous criminaliser, il faut marcher avec conviction. Nous ne sommes rien à coté de ces enfants, femmes, hommes qui depuis 20 mois sont massacrés, tués, quotidiennement. De ces enfants qui ramassent de la farine à même le sol. Pendant que nos enfants font du coloriage, jouent, les gosses à Gaza ils vont chercher à manger pour se sauver du massacre. La première victoire qu’on a obtenu aujourd’hui, c’est qu’ils voulaient nous défoncer la gueule de manière anonyme, mais on leur a montré qu’on est capable de faire un bloc de résistance immense ».

Rendez-vous donné l’année prochaine, le 26 juin 2026.