DUNKERQUE. Manifestation Justice pour Djamel Bendjaballah.

Meurtre de Djamel Bendjaballah : un crime raciste toujours pas reconnu comme tel.

Djamel Bendjaballah, éducateur spécialisé de 43 ans, était tué par un militant d’extrême-droite en août dernier, près de Dunkerque. Presque un an plus tard, la famille continue de se battre pour demander la requalification du crime en meurtre raciste.

« Peut-être que si la police et la justice l’avaient protégés, Djamel serait encore en vie ». Les mots de Zohra, la mère de Djamel Bendjaballah, sont puissants. Elle s’est rendue, ce samedi, devant le tribunal de justice de Dunkerque, comme 250 autres personnes, venues réclamer justice pour Djamel. Djamel, éducateur spécialisé de 43 ans d’origine algérienne, était reconnu par ses collègues comme un « rayon de soleil » qui apportait « énormément de choses aux enfants ». Le 31 août dernier, il a été assassiné par Jérôme Decofour, un militant d’extrême-droite de 43 ans, devant sa compagne Camille* et leurs enfants. Jérôme Decofour, responsable de la Brigade Française Patriote dans le Nord, une milice survivaliste et raciste, est l’ex-compagnon de Camille, avec qui il a eu deux enfants, en 2013 et 2017. Ses deux enfants qui sont restés vivre avec Camille et Djamel, alors que Jérôme Decofour conservait un droit de visite qu’il ne respectait pas. « Ce que ne supportait pas l’assassin, c’était que ses propres enfants aient, comme autre figure paternelle, un « rat », un « sarrasin », un « bougnoule » comme il le qualifiait », rappelle Zohra.

Manifestation pour demander la justice pour Djamel Bendjaballah à Dunkerque. PHOTOS : Louise Bihan

Depuis ce meurtre, le militant d’extrême-droite a été mis en examen pour meurtre et écroué. Il est toujours en détention provisoire et risque 30 ans de réclusion criminelle. Mais pour la famille, c’est insuffisant. Car à ce stade, la justice ne reconnaît pas le caractère raciste du crime, pourtant avéré au regard du profil de M. Decofour : radicalisé, il détenait chez lui de nombreuses armes (pistolets, armes longues, grenades et obus) et assumait se préparer à une « guerre civile inévitable » aux côtés du groupuscule dont il dirigeait la branche nordiste : la « Brigade Française Patriote », fondé en 2017 par un vétéran de la marine, dont le média Blast en a révélé les contours. Les membres de cette « brigade » se retrouvaient régulièrement pour s’entraîner au maniement des armes et effectuer des « stages de survie ».

« Djamel aspirait à une vie simple et tranquille  ».

Face à toutes ces révélations, la famille peine à comprendre que le meurtre de Djamel ne soit toujours pas reconnu comme un crime raciste. « Mon frère a été harcelé pendant plusieurs années par Jérôme Decofour », témoigne Nadia, la sœur de Djamel. « Il a déposé plusieurs plaintes en disant son inquiétude par rapport à Decofour, car il détenait des armes et le menaçait en permanence ». Djamel avait, en effet, porté plainte à deux reprises à la suite de menaces, d’insultes racistes régulières, de la part de Jérôme Decofour. Ses plaintes ont toutes été classées sans suite. « Ce 31 août 2024, j’ai perdu une part de moi, j’ai perdu mon frère, mon grand frère. Tout ce qui se passe ne peut pas être réel. Djamel aspirait à une vie simple et tranquille », continue Nadia, la voix pleine d’émotion, devant le tribunal de justice de Dunkerque où plusieurs personnes tendaient des banderoles où sont inscrits les mots « Justice pour Djamel » et « Crime raciste ».

Manifestation pour demander la justice pour Djamel Bendjaballah à Dunkerque. PHOTOS : Louise Bihan

« La France est durement confrontée au racisme, c’est une réalité qu’on ne peut pas nier », reprend Zohra. « Jérôme Decofour était prêt à tout pour discréditer Djamel. Père, est-ce qu’on l’est quand on inflige à ses propres enfants, la chair de sa chair, la vision du massacre en direct d’un homme en l’écrasant par trois fois avec son véhicule ? »

Si, à la suite du meurtre, Jérôme Decofour tentera de fuir avant de se rendre à la police, celui-ci semble n’exprimer aucun regret quant à son acte. En garde à vue, il plaide l’accident et, dans ses lettres adressées à ses proches depuis sa cellule, il fait preuve d’un cynisme absolu. Il y écrit notamment : « Vous connaissez bien l’amour et l’attention que je porte à ma voiture (…) je ne l’aurais jamais lancée délibérément sur qui que ce soit qui aurait pu l’abîmer », avant d’affirmer en s’adressant à ses enfants qu’« un jour, [il sortira] la tête haute et la conscience tranquille ».

La nature raciste du crime est alors plus qu’évidente pour les proches de Djamel. Et derrière la responsabilité du mis en cause, c’est l’inaction de l’État qui est pointée du doigt : « Cette institution a failli par ses graves dysfonctionnements », affirme Zohra. « Peu de temps après la mort de Djamel, nous nous sommes trouvés livrés à nous-même. Nous nous débattons dans une horrible douleur. La procureure de Dunkerque n’est jamais allée à notre rencontre ».

« Nous nous débattons dans une horrible douleur »

Plusieurs prises de paroles se sont succédées devant le tribunal avant le départ en manifestation. Dominique Sopo, le président de SOS Racisme venu soutenir la famille, a le verbe tranchant à l’égard de Jérôme Decofour : « On sait ce que sont ces prétendus patriotes. Ce sont des gens qui, au nom du patriotisme, livraient les juifs à la Gestapo pendant la seconde guerre mondiale. Ce sont des gens qui, au nom du patriotisme, torturaient dans les colonies. Le patriotisme de ce sinistre individu, il s’appelle racisme. Djamel, lui, était un digne représentant de ce que ça veut dire l’amour de la France. La famille Bendjaballah a le droit à la vérité. »

Dominique Sopo présent à la manifestation pour Djamel Bendjaballah devant le tribunal de justice de Dunkerque. PHOTOS : Louise Bihan.

Et, au-delà du cas de Djamel, toutes les personnes présentes ce jour admettent que son cas n’est pas isolé. « Nous sommes à nouveau entrés dans un cycle de crimes racistes, » reprend Dominique Sopo. « Depuis le dernier rassemblement qui avait lieu quelques semaines après le crime envers Aboubakar Cissé à la mosquée de la Grande-Combe [là où ce fidèle de 22 ans a été tué le 25 avril 2025 de 57 coups de couteaux par Olivier H., un français âgé de 20 ans, ndlr], il y a eu à nouveau des crimes racistes : à Puget-sur-Argens, le crime envers Hichem Miraoui et la tentative d’assassinat de deux personnes kurdes ».

Pour François Sauterey, co-président du MRAP, cette succession de crimes racistes ne vient pas de nulle part. « Nous avons un ministre de l’intérieur qui joue un drôle de jeu en désignant l’arabe, le noir, l’étranger, le migrant, comme principal vecteur des maux de toute la société. Il encourage, d’une manière indirecte, le passage à l’acte des plus radicalisés à l’extrême-droite ». Il affirme également que l’association qu’il copréside a saisi la défenseure des droits « pour qu’elle instruise les négligences commises par la justice à Dunkerque ». De nombreux⸱ses élu⸱es venant de toute la gauche étaient également présent⸱es ce jour pour apporter leur soutien à la famille de Djamel.

Manifestation pour demander la justice pour Djamel Bendjaballah à Dunkerque. PHOTOS : Louise Bihan

C’est donc un combat pour la justice et la vérité qui continue, à près d’un an du meurtre. Un bien triste anniversaire que précèdent deux autres : l’anniversaire de Nadia, mais aussi celui de Djamel, qui aurait dû fêter ses 44 ans. Un collectif s’est monté, le collectif « Justice pour Djamel » qui a récemment publié une lettre ouverte que vous pouvez signer.

Une page Facebook et un compte Instagram ont également été créés pour faire connaître l’histoire de Djamel et parler des mobilisations à venir.

Hicham et Nassim, les cousins de Djamel, espèrent que ces mobilisations feront venir davantage de monde. Depuis Paris, les deux frères font connaître la cause de leur famille en prenant la parole dans différentes manifestations. Ému, Hichem se rappelle de Djamel comme quelqu’un « qui s’est toujours beaucoup occupé » de lui et de son frère. « Il nous a fait rire, il nous a fait sortir. C’était un être humain, c’était un français, c’est toujours un français. Il s’est fait assassiné uniquement parce que c’était une personne arabe. Je voulais vous rappeler ces choses parce que derrière des deuils, derrière des crimes qui se passent encore en France, il y a des familles endeuillées mais aussi des êtres humains. »

Nadia, la soeur de Djamel, Hicham et Nassim, ses cousins. PHOTOS : Louise Bihan

Nassim, lui, compte sur les manifestant⸱es présent⸱es ce jour pour continuer la mobilisation. « Ce combat, c’est le combat de la famille, mais c’est aussi le vôtre, c’est le combat de toute une société. Parce que, certes, on assassiné Djamel, mais on a assassiné une part de la société. On a assassiné l’humanisme, on a assassiné les valeurs de la France. On devrait être beaucoup plus. On devrait être la France entière à apporter notre soutien aux familles des victimes et aux gens qui souffrent au quotidien du racisme. Le racisme, c’est tous les jours. Il faut qu’on soit solidaires ».

Un hommage devrait s’organiser le 31 août prochain à Cappelle-la-Grande, près de Dunkerque, là où Djamel a été tué. D’ici là, vous pouvez soutenir la famille via les réseaux sociaux et en signant la lettre ouverte afin que la qualification raciste du crime soit reconnue par la justice. Si le crime est reconnu comme un meurtre raciste, Jérôme Decofour risque à la réclusion à perpétuité.

Manifestation pour demander la justice pour Djamel Bendjaballah à Dunkerque. PHOTOS : Louise Bihan

* : le prénom a été modifié.

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