Lezennes (Nord). Un barrage filtrant pour demander la réouverture des négociations annuelles obligatoires (NAO). Une quarantaine de personnes habillées d’un chasuble CGT ou FO, et pour certains courageux d’un chasuble CFTC et CFDT (malgré l’absence de ces deux syndicats à la mobilisation du jour) se sont réunies ce mercredi matin devant le siège de Leroy Merlin à Lezennes, juste à côté de la zone commerciale de Villeneuve d’Ascq. Leur but ? Informer les salarié-es du siège sur leurs revendications, en espérant que la direction relance le processus de négociations, dont le résultat est jugé « extrêmement décevant » par les syndicats.
«Les NAO ont été clôturées. Nous, en intersyndicale, on a demandé leur réouverture parce que le résultat est extrêmement décevant. La revendication concernant la prime d’ancienneté a été catégoriquement refusée par la direction », dénonce Imane Haddach, déléguée syndicale centrale (DSC) pour la CGT à Leroy Merlin. « Le résultat opérationnel de la boîte, c’est plus de 500 millions d’euros. On est extrêmement rentable, c’est une entreprise qui a une bonne santé financière mais qui ne distribue plus d’intéressement et de participation depuis 3 ans. On a perdu l’équivalent de 4 mois de salaire depuis 2021. Et sur la période, ils distribuent 1 milliard d’euros de dividendes aux actionnaires. »
1,1 %. C’est ce qui a été proposé par la direction aux salarié-es, selon les syndicats. Ce qui équivaut en moyenne à 30 euros bruts d’augmentation pour un-e salarié-e de base. Évidemment, pour les syndicats mobilisés ce matin, ça ne passe pas. «On avait pas réclamé un euro de plus, mais un partage différent, plus équitable avec une valeur euro, et pas en pourcentage, pour rémunérer les salarié-es de la même manière », indique Julien Gourgechon, responsable syndical CGT. «Quand un salarié en bas va récupérer 30 euros, un directeur de magasin va récupérer 100 balles et Agathe [Monpays, la directrice générale, ndlr] va récupérer 200 balles. On avait aussi une revendication forte qui venait de la base, c’était une reconnaissance de l’ancienneté. Parce qu’aujourd’hui, il y en a qui ont 20 ans d’expérience sur le terrain, ils ont le même salaire qu’un mec rentré il y a 6 ans, et on trouve ça inadmissible. La direction n’a rien voulu entendre, elle fait semblant d’écouter et ça, nous, on peut pas l’accepter. »
Barrage filtrant, donc, et distributions de tracts. Accompagné-es par des militant-es de la CGT Commerces & Services ainsi que par l’Union Locale CGT de Lille, les salarié-es mobilisé-es espère bien lancer un « signal fort à l’entreprise, un signal d’alarme ». Pendant ce temps, une réunion était organisée entre la direction et deux syndicats qui n’ont pas participé à la mobilisation de ce matin, la CFDT et la CFTC. Annoncée le Vendredi soir, selon Julien Gourgechon, cette réunion est, pour les syndicats, seulement un moyen de « casser le mouvement, alors qu’on venait d’annoncer la mobilisation prévue pour ce matin ».
Quand Tawfik Kilani, directeur du développement social chez Leroy Merlin, est venu à la rencontre des salarié-es, les échanges se sont tendus. Face aux interpellations des salarié-es en colère, M. Kilani essayait de défendre le bilan de son entreprise : « On a versé 30 à 40 % de primes par trimestre au moment de la crise sanitaire. 250 millions de résultats partagés aux collaborateurs [sic] pendant la crise sanitaire, c’est pas des billes. Grâce aux augmentations faites cette année, nos premiers niveaux de salaires sont à plus de 25 000 euros à l’année, ça c’est une réalité. On ne peut pas dire que l’entreprise Leroy Merlin n’est pas volontariste pour accompagner les premiers niveaux de salaires quand toutes les mesures que nous prenons sont justement de préserver leur pouvoir d’achat. »
Il s’est également fortement opposé à la mise en place d’une prime d’ancienneté. « La prime d’ancienneté n’a pas réponse à tout. On ne s’inscrira pas là-dedans pour des raisons de philosophie et d’impact financier ».
Retrouvez ici la vidéo des échanges.
« Et combien ils sont payés les actionnaires ? » s’est vigoureusement demandé une salariée. Une question à laquelle Tawfik Kilani n’a pas répondu. De son côté, Force Ouvrière avance le chiffre de « plus d’un milliard de dividendes » versées sur trois ans aux actionnaires.
«Tout ça, c’est systémique de la famille Mulliez », rappelle Julien Gourgechon. En effet, l’association familiale Mulliez, basée dans le Nord, détient de nombreuses entreprises comme Leroy Merlin, Décathlon, mais aussi Auchan, qui a récemment annoncé le licenciement programmé de 2389 personnes. Selon le magazine Challenges, la famille Mulliez est 7e dans le classement des 500 plus grandes fortunes de France avec une fortune totale de 28 milliards d’euros (+8 Mds en comparaison à 2023).
Du fait de la situation dramatique à Auchan, le nom de la boite était sur toutes les lèvres. « Le parallèle qu’on peut faire avec Auchan, c’est que suite à la façon dont l’entreprise traite ses salariés, l’année dernière on a perdu 1000 personnes », rappelle Bernard Vigourous, délégué syndical central FO. « Cette année aussi, on va sur 1000 personnes licenciées au vu du résultat des NAO. Il y a une rupture conventionnelle collective de 400 personnes au siège, on a éradiqué 200 postes de métiers comptables. Sauf qu’au lieu de faire un plan social comme chez Auchan, à Leroy Merlin c’est fait de façon extrêmement pernicieuse. Il y a un turn-over colossal, autour de 17 %, voir 40 % chez les 0-1 ans d’ancienneté. Les gens vivent dans la peur dans cette entreprise. »
A la suite de cette mobilisation, les salarié-es du siège sont allé-es rejoindre leurs collègues du magasin Leroy Merlin à quelques centaines de mètres de là, investissant les lieux aux cris de « Augmentez les salaires ! », et en applaudissant chaque salarié-e croisé-e. « Bravo à vous ! C’est vous qui créez la richesse de cette entreprise, bravo ! » ne cessait de rappeler Imane Haddach.
Les salarié-es mobilisé-es sont ensuite allé-es faire un tour dans le magasin Auchan à côté, histoire de rappeler à Mulliez que la résistance s’organise. « Leroy Merlin fait face à des suppressions d’emploi, fait partie de la galaxie Mulliez, donc forcément les salariés de Leroy Merlin vienne soutenir les camarades de la CGT à Auchan », affirme Amrani Mouhsine, délégué CGT UES exploitation d’Auchan France, présent lors de la mobilisation. « C’est un seul et même groupe. Ils laissent paraître le chiffre qu’ils veulent quand ils parlent de mauvaise santé financière. Si on était en mauvaise santé, on rachèterait pas 76 magasins Casino, 50 hypermarchés et 26 supermarchés. Alors qu’on nous dit aujourd’hui que le format hyper est délaissé par les clients, malgré ça on rajoute 50 hyper. Pourquoi on a pas fait le contraire ? Ce qui est sûr, c’est que sur l’entité Auchan, il y a 2389 emplois supprimés qui vont laisser de nombreuses familles sur le carreau et on fait l’annonce juste avant les fêtes de fin d’année. Je trouve ça franchement lamentable. »
Pour Leroy Merlin, la mobilisation ne va pas s’arrêter là. Du côté d’Auchan non plus. La CGT appelle à une « mobilisation générale » demain devant le magasin Auchan de Clermont-Ferrand Nord.