Plan social massif à Auchan : pour la CGT, « les salarié·es paient le prix d’un mauvais choix stratégique ».

C’est partout dans la presse depuis ce matin. Auchan a annoncé la suppression de 2389 emplois dans toute la France. Cela touchera aussi bien les centrales d’achat que les magasins, dont une dizaine risque de fermer. Dans un communiqué datant du 5 novembre, l’enseigne, qui emploie 54 000 personnes en France dans les magasins, parle d’un « plan de retour à la croissance », invoquant d’importantes pertes depuis plusieurs années dû à un « contexte ultra-concurrentiel » et à une « baisse constante de fréquentation ». Dans ce même communiqué, l’enseigne affirme que « sur la période, et avant l’intégration des magasins Casino, sa part de marché a chuté de 12,1 % à 8 %, ses revenus ont reculé de 2,26 milliards d’euros ».

Pour Kévin Vermersch, responsable syndical de la CGT Auchan Englos et membre de la commission exécutive de la CGT Commerce & Services, « les salarié·es paient le prix d’un mauvais choix stratégique » de l’entreprise. Entretien.

Englos (Nord). C’est tombé comme un coup de massue. Ce matin, le distributeur Auchan présentait aux représentant·es des salarié·es au niveau national son dernier « plan social », menaçant 2 389 emplois à travers, notamment, la fermeture de dix magasins. Les CSE (comités sociaux et économiques) locaux ne se réunissent que demain, mais déjà, l’inquiétude est dans toutes les têtes et les téléphones des responsables syndicaux partout en France ne font que chauffer. Ce sont des femmes, des hommes, des familles entières qui seront impactées. A Englos, non loin de Lille, les syndicats avaient déjà prévu le coup. En août dernier, la direction de l’hypermarché situé dans le complexe commercial d’Englos-les-Géants annonçait une réduction de surface de 25 %. Pour les salarié·es, forcément, ça allait amener à des suppressions d’emplois. Si l’annonce ne surprend pas à la CGT, elle choque évidemment. Au-delà des familles, il y a des vies en jeu.

L’Insurgée : On lit partout dans la presse qu’Auchan annonce vouloir supprimer 2389 emplois en France. A quoi ça correspond concrètement, et à quel point le site d’Englos sera impacté ?

Kevin Vermersch : « Sur le magasin d’Englos et dans tous les magasins de la région, ça va toucher les vendeurs, les conseillers de vente, notamment au niveau de la vente d’équipements (informatique, électroménager). Ça va toucher les centrales d’achats mais aussi tous les magasins du Nord où il y a des conseillers de vente ainsi que les hypermarchés. Des responsables commerciaux et sécurité seront également concernés, même s’ils sont peu sur les sites.

Nous n’avons pas encore le détail sur les emplois touchés dans le Nord. Aujourd’hui, le CCSE [instance représentative du personnel mis en place par les ordonnances Macron de 2017 concernant les entreprises comptant plusieurs établissements distincts, ndlr] du central s’est réuni, on a les infos globales. Mais pour les magasins, on en saura plus demain.

Le téléphone n’a pas arrêté de sonner. On annonce ça aux salarié·es et on leur dit pas ce qu’on va faire derrière. Il y a beaucoup de familles qui vont se retrouver sans emploi. L’entreprise a déjà réuni les vendeurs pour expliquer que les postes vont être supprimés, sans donner plus d’explications. On leur a dit que c’était juste un licenciement, alors qu’il y aura peut-être des reclassements. Nous avons peu d’informations. Les salarié·es sont effondré·es car ils ne savent pas ce qu’ils vont devenir demain. Sur Englos, on leur a dit que l’entreprise va garder 2 personnes sur les 12 conseillers de vente.

L’I : Vous dites dans un communiqué que la CGT redoutait et avait anticipé l’annonce, c’est-à-dire ?

K.V : On avait déjà communiqué là-dessus en août dernier car l’entreprise avait annoncé une réduction de surface de 25 %, et on savait que ça allait amener à une restructuration. On ne réduit pas les surfaces sans enlever du personnel. On avait eu l’info par la direction qu’il fallait mettre une équipe proportionnelle à la taille du magasin, et donc réduire les frais du personnel. Ça, c’était fin août. On a communiqué à ce propos le jour même ou le lendemain. On avait pressenti ce qui allait se passer. La direction contredisait notre vision, ils disaient que ça allait se faire sur un turn-over mais qu’il n’y aurait pas de suppression de postes. Ça ne concerne pas que les vendeurs EGP [produits électroniques, ndlr], ça touche aussi les responsables commerce et sécurité. Pourquoi la sécurité ? Car ils veulent externaliser. Et les responsables commerce vont finir par gérer plusieurs périmètres, ceux qui vont rester auront donc une charge de travail plus importante.

L’I : La holding Elo, qui est derrière Auchan, a annoncé une perte nette de près d’un milliard d’euros sur les six premiers mois de 2024 et défend un « plan de retour à la croissance ». Vous, vous parlez de réduction des coûts, c’est-à-dire?

K.V : Ils parlent d’un milliard de pertes, certes, mais il ne faut pas oublier qu’ils ont racheté les magasins Casino [en décembre 2023, ndlr] pour quasiment la même somme. De l’argent, ils en ont. Il ne faut pas oublier que la famille Mulliez, qui détient Auchan, c’est la 7e fortune française, et elle le restera. Donc une perte d’un milliard, pour eux, c’est pas grand-chose. Il aurait peut-être fallu relancer le commerce avant de réduire par le biais de licenciements. Ils disent que s’ils licencient, c’est pour retrouver de la compétitivité, mais en fait ce qui pose problème, c’est le prix.

Auchan est mal positionné sur le prix, et c’est le nerf de la guerre. Face à la concurrence, ils étaient en perte de vitesse, ont eu des stratégies mauvaises, alors que la vraie stratégie c’est le prix, comme à Leclerc. Il y a eu un bal des dirigeants mais personne n’a trouvé la bonne formule, et les salariés disaient qu’il fallait baisser les prix. On est aussi des consommateurs.

Aujourd’hui, ce problème du prix, ça leur coûte de l’argent pour s’aligner sur Leclerc. Apparemment, ça va leur coûter 200 millions d’euros, nationalement. L’effet du plan social va leur rapporter 380 millions d’euros à peu près. Ce qui arrive aujourd’hui, c’est une erreur stratégique, et c’est les salarié·es qui paient le prix de ce mauvais choix stratégique.

L’I : Quelle est la situation aujourd’hui à Englos, et que prévoit la CGT dans les jours à venir ?

K.V : On ira quand même écouter demain ce qu’on va nous dire, mais il y aura déjà des mouvements. On ne laissera pas les salarié·es sans manifester. On va essayer de se battre, de combattre ce plan social. On doit se réunir rapidement, on va réfléchir à une stratégie. Il y aura peut-être des mobilisations fortes dans tous les magasins. On ne sait pas encore.

On est sollicité·es par toutes les régions, tous les départements. Toute la CGT est derrière nous. C’est plus de 2000 emplois qui sont en jeu, c’est pas rien. On verra ensuite avec les autres organisations syndicales si elles se veulent se joindre à nous. On ne va pas jouer cavalier seul. »

Dans un communiqué de presse paru en milieu d’après-midi, la fédération CGT Commerces et Services « appelle l’ensemble des travailleurs d’Auchan à refuser ce sacrifice en se mobilisant massivement et en se mettant en grève et exhorte le gouvernement à enfin légiférer pour mettre un terme à ces plans subventionnés par l’État ». En effet, toujours dans le même communiqué, la fédération affirme que « Auchan, à lui seul, a bénéficié de 500 millions d’euros d’aides publiques sans contrepartie » via le CICE [Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi, ndlr].

En pleine séances de questions au gouvernement ce mardi, Michel Barnier a affirme ne « pas » être « fier d’une politique qui détruit des emplois« . Répondant à une question du communiste André Chassaigne à propos des fermetures d’usine Michelin prévues à Vannes et Cholet pour 2026 (menaçant près de 1250 emplois), Michel Barnier a affirmé : « j’ai le souci de savoir ce qu’on a fait, dans ces groupes, de l’argent public qu’on leur a donné ». Il a aussi fait référence à la situation chez Auchan, affirmant : « nous allons poser des questions et nous verrons si cet argent a été bien ou mal utilisé pour en tirer les leçons« . Reste à savoir ce qu’il en sera vraiment.

MISE A JOUR – 05/11/24 à 22h56 avec les dernières déclarations de Michel Barnier.

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