La ville de Tourcoing porte plainte contre les « tags » d’un collectif féministe, ce dernier dénonce la « répression ».

La « Brigade du respect » est connue à Lille. Depuis 2019, ce collectif arpente les trottoirs lillois à coup de pochoirs destinés à « l’empouvoirement » des femmes et personnes minorisées dans l’espace public. En se baladant dans la ville, quand on baisse la tête, on peut régulièrement y apercevoir des slogans écrits à l’encre violette tels que « Girl, la rue t’appartient » ou « Liberté, égalité, adelphité [néologisme non-genré formé à partir du terme fraternité, ndlr] ». Cette reconnaissance aboutit même à un partenariat avec Ilevia, le gestionnaire des transports de la métropole européenne de Lille, en novembre 2023.

Leurs actions sont non-violentes et globalement acceptées dans l’espace public. « On a jamais été emmerdées », affirme Salomé, membre de la Brigade. « Au maximum, nous avions eu un contrôle d’identité et l’intervention des flics qui nous disent simplement : n’en faites pas tous les 200 mètres. Une fois la BAC [brigade anti-criminalité, ndlr] est intervenue et elle était consternée, elle ne savait pas quoi nous dire. »

Pourtant, en juin dernier, une interpellation inattendue marque un coup dur pour le collectif. Alors que deux militantes (accompagnées d’un ami) peignaient des slogans (7 pochoirs en tout) en faveur du vote de gauche pour les législatives anticipées, la police arrive et interpelle les membres de la Brigade ainsi que leur ami. « Si on le fait en plein jour, c’est qu’il y a une liberté d’expression à défendre, explique Salomé, qui ne fait pas partie des personnes incriminées ce jour-là. Il s’agissait d’inciter les habitant-es de Roubaix et de Tourcoing à exercer leur droit de vote. C’est aussi une forme d’empouvoirement. On voulait leur dire qu’on était là et qu’on ne les oubliait pas. »

Si les trois ressortent indemnes ce jour-là à la suite d’une audition libre, quelques semaines plus tard, la nouvelle tombe. Les deux militantes ainsi que la personne qui les accompagnait reçoivent un courrier de la mairie qui leur impose de payer un « préjudice communal » de 770 euros. Incompréhensible pour Salomé, qui dénonce une « répression » contre la Brigade. « Le courrier qu’on a reçu parle de tags, c’est un terme connoté, on nous accuse de dégradations. Nous, on voit plutôt ça comme une démarche proche du street art. Au commissariat en juin, on nous a dit qu’on allait rien avoir. On a voulu montrer pattes blanches en envoyant une lettre à Doriane Bécue [la maire de Tourcoing, ndlr] en lui expliquant notre démarche. On en a appelé à sa sororité, mais nous n’avons eu aucune réponse. Puis, on apprend que la mairie a porté plainte et que 3 personnes sont convoquées au tribunal pour dégradation. On parle de 7 pochoirs. La durée de vie de la peinture qu’on utilise, c’est 6 mois et s’il pleut beaucoup, ça s’efface. On fait attention, il y a toute une réflexion là-dessus. »

En plus des 770 euros demandés par la mairie, les 3 personnes convoquées risquent d’être condamnées à des heures de travail d’intérêt général. Pour Salomé, le contexte politique actuel n’est pas pour rien dans cette situation ubuesque. « C’est clairement de l’abus de pouvoir. On se demande, par les temps qui courent, combien de temps on va pouvoir continuer à faire ce qu’on fait sans risquer de se retrouver au tribunal ? »

« Je pense qu’ils essaient de récupérer de l’argent », nous explique Katy Vuylsteker, élue EELV d’opposition à la mairie de Tourcoing et cheffe de file pour les élections municipales de 2026, qui se dit « complètement indignée » de la situation. Pour elle, cela témoigne d’un climat plus général dans cette ville dirigée par Doriane Bécue, proche de l’ancien maire et ex-ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, aujourd’hui député EPR. « J’ai honte. Ça va trop loin », précise Katy Vuylsteker. « Nous, pendant les dernières campagnes, on nous a collé des amendes en nous accusant d’affichages sauvages. Mais en 2021, on se rend compte que plein de panneaux d’affichage libre ont disparus, ils ont été supprimés à une semaine du scrutin sans que nous soyons au courant. »

Pour l’élue, la plainte contre la Brigade du Respect est clairement politique. « Elles ont fait le pire truc ce jour-là : appeler les gens au vote. Il y a une haine des démarches féministes, de gauche, dans notre ville. Aux dernières législatives, le NFP y est arrivé 9 points devant l’extrême droite et 13,5 points devant Darmanin au premier tour. Les logiques d’intimidation sont très fortes. »

Du côté de la Brigade, on estime que « ce n’est que le début des pratiques abusives ». Mais le point positif, pour Salomé, c’est la présence d’un « gros réseau de solidarité ». « On a pas régulièrement ce genre de retour mais là on se rend compte d’à quel point c’est un travail dont les gens ont besoin. »

Une cagnotte solidaire pour payer les frais d’avocats a été mise en place. Le collectif appelle à se rassembler devant le tribunal judiciaire de Lille (13, avenue du peuple belge) ce lundi 2 décembre à 10h30 en soutien aux 3 personnes convoquées.

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