Un militant, entouré par des vigiles, déploie le drapeau palestinien. Un militant, entouré par des vigiles, déploie le drapeau palestinien.

« Menaces et intimidations » à Séries Mania : des militant·es pour la paix en Palestine dénoncent des violences lors d’une action.

Coups et blessures, menaces, intimidations… Des militant·es pour le cessez-le-feu à Gaza dénoncent de nombreuses violences pendant une action ce dimanche lors du festival Séries Mania, qui accueillait une production israélienne.

Le festival Séries Mania, grand raout international des œuvres télévisuelles, se tient cette année à Lille du 21 au 28 mars. Un défilé ininterrompu de grands noms de la série française et internationale, composé d’ateliers, de projections, et de résidences artistiques. Si, en apparence, tout se déroule dans un cadre assez feutré, plusieurs éditions récentes ont déjà pu être perturbées par l’agenda politique. Notamment en 2023, lors de la réforme des retraites, où une manifestation spontanée avait mené à l’interruption d’une masterclass de Marcia Cross, connue pour son rôle de Bree Van De Kamp dans « Desperate Housewives », et à l’exfiltration de cette dernière qui avait, par ailleurs, déjà partagé des images de mobilisations contre la réforme sur ses réseaux sociaux. L’année dernière, plusieurs projections et résidences avaient été perturbées par des manifestant·es pour la paix en Palestine. Ces dernier·es, mobilisé•es pour la fin du génocide à Gaza, dénonçaient la présence de productions israéliennes ainsi que la tenue d’une résidence d’artistes israélien·nes. Les militant·es, qui défendent le boycott total (marchand, institutionnel, et … culturel) pour stopper les massacres en Palestine, estiment que la présence d’œuvres et d’artistes israélien•nes mènent à « l’artwashing » des massacres à Gaza. Depuis le 7 octobre 2023, au moins 61 700 personnes ont été tuées par l’armée israélienne sur le territoire palestinien (certaines études estiment que ce serait plutôt le double). Plus de 110 000 personnes ont été blessées. Plus de 90% de la bande de Gaza a été déplacée de force.

Action pour la paix en Palestine lors de la cérémonie de clôture de l’édition 2024 de Séries Mania, le 22 mars 2024. Crédits : Louise Bihan

Cette année, de nouvelles projections d’œuvres israéliennes étant prévues, il était attendu que d’autres actions militantes s’organisent, et cela n’a pas manqué. Ce dimanche 23 mars, alors qu’une projection de la série israélo-américaine « The German » était organisée au Nouveau Siècle, à Lille, une vingtaine de militant·es a tenté d’interrompre la séance en scandant des slogans anti-guerre, drapeaux palestiniens en main, face au public et à l’équipe de la série.

« Israël assassine les cinéastes en Palestine ! »

Arnaud, militant lillois pour la paix en Palestine, faisait partie du premier groupe de militant·es présent·es à l’intérieur de la salle de cinéma ce dimanche. Il raconte : « C’est allé très vite, j’ai pas vu grand-chose. J’étais avec deux militantes, M. a pris la parole dans la salle et s’est faite huer. Avec D. on a crié des slogans, j’ai sorti le drapeau palestinien et là, on a été sorti tout de suite. »

Arnaud prévient d’emblée, il est « pacifiste ». Il dénonce, comme d’autres militant·es que L’Insurgée a pu interroger, la réaction et les « menaces » qu’il dit avoir subi de la part de la sécurité du Nouveau Siècle. « Le mec de la sécurité, au début, était très correct. Mais les autres ont été menaçants. L’un d’entre eux m’a poussé, essayé de m’arracher mon téléphone, m’a pointé du doigt… Il avait envie d’en découdre », dénonce-t-il. Il compte porter plainte pour « menaces et agression physique », tout comme un autre militant présent pendant l’action. Et d’insister : « Même les flics voyaient bien qu’on était pas réticents envers eux ».

Arnaud n’est pas le seul à dénoncer des menaces et coups de la part de la sécurité du lieu. Jihad, un autre militant, également engagé à l’AFPS (Association France Palestine Solidarité), en a fait les frais. Interpellé lui aussi à l’intérieur de la salle de projection, il raconte avoir été violenté par la sécurité puis interpellé par la police avant d’être relâché. Dans une vidéo que nous avons pu consulter, filmée par un passant, on voit un agent de sécurité effectuer ce qui peut ressembler à une clé de bras sur le militant, alors au sol. L’agent reste ainsi plusieurs minutes le genou sur son dos, avant de le relâcher. Une pratique qui questionne sur sa légalité. Quoi qu’il en soit, Jihad passera la soirée au commissariat puis à l’hôpital où un médecin constatera de multiples « coups et blessures » selon un document médical que L’Insurgée a pu consulter. Sur ce document, l’examen clinique énonce des ecchymoses et abrasions multiples, ainsi que plusieurs griffures et plaies.

Je n’avais pas envie de perturber la séance, je voulais simplement attendre la fin du film et prendre le micro pour discuter.

« Je suis allé à la projection dans l’idée de débattre », assure Jihad. « Au début, on présentait les réalisateurs et on nous a dit qu’il y allait avoir un débat à la fin. Je n’avais pas envie de perturber la séance, je voulais simplement attendre la fin du film et prendre le micro pour discuter, pour que la salle ait un autre point de vue que celui de la propagande israélienne ». Mais les choses ne se sont pas passées comme prévues. Après que les différents groupes de militant·es furent exfiltré·es par la sécurité, cette dernière revient alors pour demander à Jihad de sortir aussi. Il pense avoir été repéré en amont par la police et les renseignements territoriaux, déjà présents aux abords du Nouveau Siècle. « Je leur ai dit [à la sécurité] que je ne faisais rien d’autre que regarder le film. En voyant que je ne voulais pas sortir, un des vigiles m’a pris par la gorge et a serré très très fort pour me faire sortir. Mais je n’ai pas cédé. Je me suis accrochée autant que je pouvais et je leur ai dis que je restais. »

Jihad raconte avoir été plaqué au sol par un vigile du Nouveau Siècle. / Crédits : DR.

Jihad raconte toute son interpellation dans les détails, et affirme avoir été violenté par plusieurs vigiles du Nouveau Siècle, avant d’être arrêté par la police. « Au moment où la police arrive, j’étais dans la même situation, au sol. Il [le vigile] commence un peu à me relâcher mais me fait toujours une clé de bras. »

A ce moment, la situation devient un peu floue pour lui, mais il se rappelle avoir été menotté après que « quelqu’un, je ne sais pas si c’était le vigile ou un responsable du Nouveau Siècle, a voulu porter plainte » contre lui. Il raconte ensuite avoir été emmené dans une camionnette de police pour être contrôlé et, alors qu’il dit aux policiers souhaiter déposer plainte, il apprend à ce moment que la personne qui avait annoncé porter plainte contre lui aurait finalement fait machine arrière. Il sera assez rapidement relâché. Dans la foulée, il ira déposer plainte contre X au commissariat pour « violences commises en réunion sans incapacité » comme en témoigne le procès-verbal que nous avons également pu consulter. Violences « sans incapacité », mais Jihad l’affirme : « Aujourd’hui, j’ai encore des douleurs ». L’informaticien de profession espère pouvoir consulter le médecin légiste ce mardi afin de rajouter des éléments à sa plainte.

« Ma version n’a pas été prise en compte »

Un épisode violent qui, pour Meïssa, n’est pas anodin. La militante également présente à l’action ce jour-là l’affirme : « Jihad a été violemment expulsé de la salle, alors que c’était la seule personne de notre groupe qui est d’origine palestinienne ». Présente avec d’autres militantes, elle raconte comment elles ont été « empêchées » de rentrer dans la salle, alors qu’elles étaient en possession de leurs billets. « Dans la file d’attente, je vois un mec des renseignements territoriaux aller voir le vigile à l’entrée pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. On m’a également contrôlé ma carte d’identité. Plus tard, j’entends le vigile dire que nous ne rentrerons pas parce que nous serions « palestiniennes », ce qui pose question. J’ai demandé à voir un responsable mais je n’ai pas eu d’explications claires ». Elle dénonce un « délit de faciès » et des « intimidations » de la part de la sécurité du lieu.

Après cet événement, les militant·es ont pu continuer leur action en tractant aux abords du Nouveau Siècle. Meïssa l’affirme : « L’action, ensuite, s’est bien passée. On a eu des échanges bien constructifs à la sortie, on n’est pas des gens violents ».

Dans un communiqué, l’AFPS 59/62 dénonce la « brutalisation » dont Jihad a été victime, ainsi que le « 2 poids 2 mesures » avec l’édition de 2022 où Séries Mania avait décidé, au début de la guerre en Ukraine, de confier la présidence du festival à la production ukrainienne Julia Sinkevych, « qui appelait au boycott des séries russes« . L’association affirme qu’un « courrier sera envoyé à la directrice du festival pour demander des comptes quant au délit de faciès ».

Contacté par L’Insurgée, le service presse de Séries Mania n’a pas répondu à nos questions à l’heure de publication de l’article.

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